Les élections en Ontario sont terminées et le grand gagnant est … le populisme.
Son effet anti-establishment a propulsé les progressistes-conservateurs vers la victoire avec 76 sièges et a vu le NPD former l’opposition officielle avec 40. Il a expulsé les libéraux avec seulement sept sièges – alors que le Parti vert a obtenu son premier siège dans l’histoire provinciale. Ce fut un remaniement en profondeur qui a mis du temps à prendre forme, un remaniement qui devrait façonner la politique pour tous les partis et cela pour des années à venir.
Rétrospectivement, la vague populiste de l’Ontario a commencé avant même que ne débute la spirale de la mort de l’ancien leader du PC, Patrick Brown. Cela a peut-être même commencé avec l’arrivée de Brown, quand il a remporté le leadership en 2015 au mépris de l’establishment politique de l’époque. Sa principale rivale, Christine Elliott, avait reçu l’appui de la plupart des membres du caucus du parti, de l’ancien premier ministre Bill Davis et – ironiquement, compte tenu de ce qui allait suivre – de l’ancien maire de Toronto Rob Ford ainsi que du futur chef du parti Doug Ford. Brown a tendu la main à des groupes qui se sentaient ignorés par la direction du parti, y compris les conservateurs sociaux et les nouveaux Canadiens. Sous sa direction, la plateforme conservatrice portait le titre de « Garantie du peuple » et, bien qu’elle différait à bien des égards de la vision présentée sous Ford, elle faisait un clin d’œil aux vents populistes qui soufflaient sur l’Ontario : de plus petits comptes d’électricité, de plus faibles impôts, moins de gaspillage gouvernemental.
L’élection subséquente de Ford en tant que leader du Parti a encore plus renforcé le thème populiste. Dans une compétition des plus serrée, Elliott a perdu une fois de plus, cette fois sur le terrain anti-establishment de Ford. Ford a porté ce discours tout au long de la campagne, contre non seulement le gouvernement libéral, mais aussi contre les médias libéraux et les élites en général. Sur la forme, sa campagne a pris exemple sur celle de Donald Trump, en mettant l’accent sur le chef du parti. Le soir de l’élection, au siège du parti, l’image de marque était celle de Ford : l’autobus de campagne était garé à l’intérieur du hall, arborant le visage souriant de Ford de 15 pieds de haut; le slogan « Pour le Peuple » a ornait le podium, aucun logo du PC en vue; les supporters portaient des t-shirts sur lesquels on pouvait lire « Doug Ford ». Même la palette de couleurs traditionnelle du bleu et blanc avait laissé la place au bleu, blanc et rouge.
En même temps, le NPD a exploité son propre populisme. Le thème du parti, « Changer pour le mieux », a mis l’accent sur les électeurs gauchistes désenchantés, y compris les défenseurs de la justice sociale et les environnementalistes. Les néodémocrates ont fait appel aux jeunes, avec le pardon des prêts étudiants, et aux femmes, avec des promesses de bénéfices en santé et de garderies à faible coût. Leur poussée peut être attribuée à la même base que Bernie Sanders a galvanisée dans la course à la nomination présidentielle américaine des Démocrates, en 2016 : celle de l’électeur anti-establishment « progressiste ». Cet appel a porté fruits surtout à Toronto, où le NPD a remporté huit sièges; sa base de cols bleus s’est manifestée ailleurs, comme à Oshawa, Ste Catherines et Hamilton; et son vote du Nord s’est consolidé dans plusieurs circonscriptions clés.
Les libéraux, eux, se sont retrouvés coincés entre deux courants populistes. Après 15 ans au pouvoir, ils ne pouvaient pas jouer la carte anti-establishment, et leur tentative de jouer dans les platebandes du NPD – en haussant le salaire minimum, en offrant un régime d’assurance-médicaments aux jeunes et en promettant plus de dépenses en garderie – n’a finalement pas porté fruits. Couplé à une cheffe impopulaire, et traînant une litanie de scandales, le parti a finalement implosé et s’est retrouvé avec son plus petit nombre de sièges depuis 1951.
Pour Ford, le défi est maintenant de gouverner sans se transformer en l’establishment dont il se moque, mais aussi sans céder à l’extrémisme que peut engendrer le populisme. Ford a déjà fait le premier pas en s’entourant d’une équipe de transition réunissant de proches alliés (les conseillers Dean French et Simone Daniels), des politiciens chevronnés (l’ancien ministre fédéral et provincial John Baird), des membres du parti (l’ancien chef de cabinet de Baird, Chris Froggatt), et des spécialistes en politiques publiques (le directeur d’hôpital et conservateur de longue date Reuben Devlin, le lobbyiste Mike Coates). Son cabinet inclura sans doute des piliers comme Elliott et l’ancien critique des finances Vic Fedeli, ainsi que les nouveaux venus Caroline Mulroney, maintenant députée de York-Simcoe, et Rod Phillips, ancien président d’OLG, maintenant député d’Ajax, dont aucun ne peut être étiquetés de « droite radicale » par les critiques de Ford.
Sur le plan des politiques, en ne publiant pas une plateforme chiffrée, un pari qui semblait fou pour un parti qui se targue de prudence fiscale, Ford s’est en fait donné une certaine marge de manœuvre budgétaire pour les deux premières années. Ironiquement, il jouera vraisemblablement la même carte que l’ancien premier ministre libéral, Dalton McGuinty, lors de son entrée en fonction en 2003 : blâmer le gouvernement précédent d’avoir laissé une situation financière pire que celle qu’il laissait entrevoir. Le défi de Ford sera d’implanter ses réductions d’impôts et de la taxe sur l’essence sans creuser un trou encore plus grand dans le budget provincial, ce qui signifie que la recherche d’économies devra commencer immédiatement et sérieusement.
La clé du succès de Ford sera également d’éviter le chaos qui a envahi l’administration de son défunt frère lors de sa dernière année à l’hôtel de ville de Toronto. Alors que les problèmes familiaux de Ford n’ont pas eu d’impact sur son avance au cours de la dernière semaine de la campagne, il ne peut se permettre de laisser ces questions prendre le devant de la scène une fois au pouvoir. La foi en la Ford Nation a peut-être contribué à propulser le PC vers la victoire, mais le parti doit se rappeler que tout l’Ontario ne partage pas cette foi. Tous les électeurs ne pardonneront pas les problèmes personnels et pourraient vite s’en lasser s’ils devaient barrer la route à une bonne gouvernance.
Enfin, tous les partis doivent se rappeler que la politique n’est pas une mode; sans un ensemble de principes directeurs, il est trop facile de se perdre. Ce qui est « pour le peuple » aujourd’hui peut très bien être rejeté par ce même peuple demain. Cela peut aussi entraîner une montée de l’intolérance, une éventualité que Ford doit à tout prix éviter. Aussi pluraliste l’Ontario soit elle… S’il peut garder le cap sur les questions fiscales et tenir ses principales promesses, il a de bonnes chances de transformer une vague populiste en un gouvernement productif.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.