Catastrophe! Débâcle! Désastre!
Il n’y a tout simplement pas assez d’épithètes pour décrire le chaos qui régnait lors de la convention au leadership du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario le week-end dernier. Les membres, les médias et les téléspectateurs ont suivi avec étonnement le compte à rebours durant quatre heures tandis que les avocats des rivaux Christine Elliott et Doug Ford s’affrontaient avec les responsables du parti. Le litige concernait le système électoral de type collège électoral du parti, le camp Elliott alléguant que les votes avaient été mal répartis dans les districts où les électeurs ne vivaient pas réellement, modifiant ainsi le résultat en faveur de Ford.
La frustration s’est transformée en fureur peu après 19 h, quand le président du parti, Hartley Lefton, a informé les membres de la foule qu’ils devraient quitter, toujours sans chef, pendant que le parti continuait à vérifier les résultats. Au milieu des huées et des sifflements qui ont suivi, l’ancien député Frank Klees a eu une crise des plus épiques, disant qu’il était « dégoûté et embarrassé pour notre parti », avant d’en appeler à l’exécutif entier pour qu’il démissionne.
Quelques heures plus tard, le dénouement tant attendu est arrivé : les responsables du parti ont convoqué un point de presse pour proclamer le leader, Doug Ford, avec une marge de 150 points. La seule autre candidate qui s’est présentée à l’annonce était Tanya Granic Allen.
Caroline Mulroney s’est contentée d’envoyer une note de félicitations sur Twitter, tandis qu’Elliott a continué à contester les résultats tout au long de la journée de dimanche, affirmant avoir remporté le vote populaire et une pluralité de circonscriptions.
« Nos scrutateurs ont identifié des villes entières qui ont voté dans la mauvaise circonscription », pouvait-on lire dans sa déclaration. « Dans une course aussi serrée, largement déterminée par la géographie, quelqu’un doit défendre ces membres. Je vais défendre ces membres et planifie enquêter sur l’ampleur de la divergence. »
Elliott s’est ensuite rétractée et a retiré son appel, suite à une rencontre privée avec Ford…
Bon sang! Vous pouviez presque entendre les éclats de rire de l’ancien chef, Patrick Brown, depuis Barrie. Les grands bonzes du PC avaient vendu cette course comme un nouveau départ après la sortie de Brown sous un nuage d’allégations de harcèlement sexuel. Mais beaucoup, y compris Brown, l’ont plutôt vue comme un véritable coup conçu pour installer quelqu’un que l’establishment trouvait plus vendable.
Au lieu d’un nouveau départ, la course est devenue un véritable feuilleton qui a vu Brown démissionner, puis réintégrer la course à la onzième heure, puis quitter de nouveau; des débats lors desquels Granic Allen s’est élevée contre l’enseignement du sexe anal aux enfants et a promis d’arracher les éoliennes du sol; et où les plaintes de milliers de membres en colère qui avaient été refusés parce qu’ils n’avaient pas reçu leurs inscriptions à temps, ou étaient incapables de voter en ligne, se sont multipliées.
Dans un acte final qu’on pourrait qualifier de désespéré, un membre a lancé une procédure d’injonction visant à repousser la date limite de la course – le jour même où elle devait expirer; son offre a été rejetée par les tribunaux.
Et puis, il y avait Ford. Ridiculisé après avoir lancé sa campagne du sous-sol de la résidence de sa mère, dénigré par les amis du parti comme étant trop à droite, accablé par les souvenirs de la mairie chaotique de son défunt frère Rob, Ford n’était pas censé remporter la victoire. Alors pourquoi l’a-t-il fait? Réponse : à cause du Parti lui-même.
Ford est entré dans la course en tant que candidat anti-establishment, dans une course qui allait, selon plusieurs, être manipulée par l’establishment du parti du début à la fin. La campagne de Ford a bénéficié de la présence de Granic Allen, une autre outsider qui est allé chercher le vote social-conservateur pour ensuite livrer 83% de son soutien à Ford au second tour. Ensemble, ils l’ont collé à l’exécutif du parti – mais maintenant que la course est terminée, ce message anti-establishment peut-il se traduire par une victoire aux élections générales?
La réponse est : oui, en supposant que Ford le canalise correctement.
Les libéraux, qui sont au pouvoir depuis 2003, font face à beaucoup de colère; sondage après sondage, on voit que les Ontariens sont prêts pour un changement, et le style populiste de Ford résonnera bien avec ces électeurs, en particulier dans les indicatifs régionaux 905, 705 et 289.
Mais Ford ne peut pas simplement s’opposer; il doit aussi proposer. Dans cette veine, il y a beaucoup de sujets fertiles qu’il pourrait exploiter et qui ont été grandement négligés par le gouvernement actuel. En voici trois qui ressortent.
Le premier est l’éducation. Rien ne représente mieux l’échec du gouvernement actuel que le système d’éducation ontarien. Le programme d’éducation sexuelle est peut être l’élément déclencheur de la frustration des parents plus socialement conservateurs, mais ce n’est que la pointe d’un grand iceberg de problèmes. Les résultats en mathématiques ne cessent de chuter depuis des années après que la province eut lancé son programme de « mathématiques de découverte », qui abandonne les méthodes traditionnelles telles que la mémorisation des tables pour les remplacer par des séances de « résolution de problèmes en groupe » et de « pourquoi » du deux plus deux.
La violence dans les salles de cours atteint des proportions épidémiques alors que la taille des classes ne cesse d’augmenter et que le nombre d’enfants ayant des besoins spéciaux s’accroît, un heureux mélange qui voit des enseignants revêtir une armure de Kevlar pour s’occuper des enfants frustrés dans des salles de classe complètement chaotiques. Les conseils scolaires comme le Toronto District School Board privilégient de façon obsessionnelle l’équité par rapport à l’excellence, adoptant une approche fondée sur le plus petit dénominateur commun qui éliminerait la procédure de sélection et qui a presque éliminé les écoles spécialisées jusqu’à ce que des parents se révoltent.
Ford pourrait proposer une véritable alternative : une approche globale de l’éducation centrée sur l’enfant qui évite l’obsession actuelle de la justice sociale et offre plutôt un solide programme de base. Cela comprendrait un retour à l’enseignement des mathématiques traditionnelles; un accent sur des matières de base comme les mathématiques, les langues et les sciences; et incorporerait l’éducation physique et les arts non seulement dans des classes particulières, mais dans le programme d’études général, donnant du même coup aux enfants des débouchés pour leur énergie et leur créativité.
Promouvoir le choix de l’école serait une autre excellente proposition : éliminer le district scolaire, qui limite les enfants à leurs écoles locales, et permettre la création d’écoles à charte, comme en Alberta, où les parents peuvent se regrouper pour créer des écoles qui répondent aux besoins de leurs enfants.
Après l’éducation, le second plus grand échec du gouvernement provincial est la santé. Les salles d’urgence des hôpitaux débordent. Les patients, y compris les enfants, sont cordés tel du bois de chauffage dans les couloirs d’hôpitaux parce qu’il n’y a pas suffisamment de chambres ou de lits; un homme de Sudbury a fait les manchettes pour avoir passé 13 jours dans les toilettes d’un hôpital.
Le temps d’attente pour les spécialistes augmente toujours, alors que certains services fondamentaux ont été complètement supprimés. Le gouvernement a beau offrir des médicaments « gratuits » pour tous les Ontariens de moins de 25 ans et une chirurgie complète de transition de sexe à partir de 2018, ne vous brisez surtout pas la cheville parce que vous ne pourrez pas obtenir de physiothérapie, les examens de la vue ne sont pas fournis aux adultes, et vous devez attendre jusqu’à 671 jours dans certaines régions pour un remplacement de genou.
Il existe une myriade de solutions à ces problèmes. Il s’agit notamment de changer la formule de financement global pour les hôpitaux à une formule où l’argent suit le patient, ce qui inciterait les établissements à traiter les patients comme des actifs plutôt que comme des passifs. Ces solutions comprennent également une plus grande attention aux soins à domicile, pour garder les personnes âgées hors de l’hôpital et dans leurs maisons où la plupart d’entre elles préfèrent rester. Cela signifie aussi construire davantage d’établissements de soins de longue durée pour les aînés dans leurs communautés, en veillant à ce qu’ils ne soient pas confinés dans des foyers éloignés de leurs proches ou séparés de leurs conjoints, car il n’y a pas assez d’installations pour les héberger. Cela signifie des partenariats entre les secteurs public et privé et des soins de santé offerts plus souvent par le privé, comme les chirurgies du genou et de la hanche, qui peuvent être achetées par l’intermédiaire d’une assurance privée au Québec, pour créer une véritable combinaison de services comme c’est le cas dans des pays européens où les deux systèmes se complètent et réduisent les temps d’attente.
Et puis, il y a de l’énergie. La tentative de Wynne de réduire les tarifs d’électricité en amortissant la dette de l’entreprise s’est avérée un coûteux échec, qui entraînera dans quelques années une hausse des taux et de la dette provinciale. Les régions rurales de l’Ontario sont les plus touchées par les tarifs élevés d’électricité, en raison du coût plus élevé de livraison, qui a encore augmenté lorsque la province a modernisé son infrastructure hydroélectrique à la suite de la panne d’électricité de 2003. Cette modernisation a été présentée comme une assurance contre de futures pannes, mais les critiques prétendent qu’elle a plutôt été menée pour faciliter la transmission d’énergie de la part des milliers de nouveaux producteurs d’électricité verte qui ont été mis en place après que le gouvernement eut offert des subventions pour produire de l’énergie éolienne et solaire – de l’électricité que la province se trouve à surpayer en raison de contrats conclus à des taux supérieurs à ceux du marché.
Plutôt que de simplement répartir les coûts entre les consommateurs et les contribuables, comme le préconisait la « garantie populaire » du Parti progressiste-conservateur, Ford devrait imposer des tarifs plus élevés aux producteurs ruraux qui en bénéficient et utiliser ces fonds pour réduire les coûts de transmission pour les consommateurs ruraux. Il pourrait également reconduire la proposition du parti de rembourser aux consommateurs le dividende de 350 millions de dollars provenant de la vente d’actions de Hydro One, mais cela aurait probablement une incidence sur les résultats du gouvernement dans d’autres domaines, ce qui nécessiterait des coupures pour compenser. Enfin, il devrait annoncer des réductions d’impôt sur le revenu, comme le parti l’avait déjà proposé, ce qui aiderait à faire face non seulement aux coûts élevés de l’électricité mais aussi au coût de la vie en général – et pourraient être compensées par l’augmentation des recettes fiscales découlant de la hausse du salaire minimum, qui a vu les salaires passer de 11,40 $ à 14,00 $ l’heure en janvier.
Ce type de plateforme « Retour vers la base », centrée sur les besoins quotidiens des électeurs moyens, conviendrait à Ford et au parti qu’il dirige maintenant. Si lui et les conservateurs doivent mettre derrière eux ce désolant cirque de course au leadership, ils devront offrir plus que de la colère et du populisme. Ils auront besoin de substance – substance que l’establishment n’a pas réussi à livrer.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.