« Faites-moi confiance » – Trudeau a oublié ce qui l’a fait élire

« Comme dit l’adage, le meilleur désinfectant, ce sont les rayons du soleil. Les libéraux jetteront une lumière nouvelle sur le gouvernement tout en assurant qu’il s’emploie à servir celles et ceux qu’il représente : les Canadiennes et les Canadiens. »

Il s’agit du chef du Parti libéral, Justin Trudeau, lors des élections fédérales de 2015. Ces mots, on les retrouve dans les pages de la plate-forme libérale « Ouverture. Transparence. Équité. », dans laquelle on retrouve aussi une foule de promesses, notamment une refonte complète de la Loi sur l’accès à l’information et la création d’un comité de surveillance de la sécurité nationale. Les libéraux ont aussi promis d’« ouvrir » le gouvernement qui, « sous le régime de Stephen Harper, agissait dans l’opacité et était déconnecté de la population. Un pouvoir sans précédent étant concentré dans les mains du premier ministre. »

Au lieu de cela, les libéraux ont offert un changement : la confiance. « Un gouvernement transparent est un bon gouvernement. Pour que les Canadiennes et Canadiens fassent confiance à leur gouvernement, il faut que le gouvernement leur fasse également confiance. »

La confiance – ou l’absence de confiance – a été en effet l’une des principales causes de la défaite des conservateurs de Harper. Des scientifiques muselés à l’affaire Mike Duffy, le gouvernement a été accusé d’avoir caché des choses et d’en avoir arrangé d’autres. Les médias se sont également mis de la fête. En 2012, l’Association canadienne des journalistes a décerné le non convoité prix du « Code du silence » aux conservateurs et, suite à l’élection des libéraux, le comité de rédaction du Toronto Star les a exhortés à « renverser l’héritage du secret ». « [L]a meilleure stratégie du gouvernement libéral pourrait simplement consister à donner l’exemple en matière de partage de l’information, y compris des conclusions qui ne le dépeignent pas nécessairement d’une bonne façon. C’est le test par lequel les promesses d’ouverture de Trudeau devraient être jugées. »

Si c’est le test, les libéraux ont monumentalement échoué. Après trois ans au pouvoir, l’ouverture a cédé la place à l’opacité. Pas plus tard que cette semaine, l’opposition a demandé au premier ministre d’admettre qu’il avait reçu un sac de voyage de l’Aga Khan comme cadeau durant ses tristement célèbres vacances sur l’île Bell. Trudeau n’a pas divulgué l’existence du cadeau parce qu’il a été jugé « inacceptable » par le commissaire à l’éthique et qu’il n’a donc pas dû être divulgué publiquement en raison du libellé de la Loi sur les conflits d’intérêts, qui exige seulement la divulgation de cadeaux « acceptables » d’une valeur de plus de 200 $, et obtenu d’une personne autre qu’un parent ou un ami. Trudeau refuse toujours de révéler la valeur du cadeau ou ce qui lui est arrivé, et bien qu’il puisse paraître insignifiant d’insister pour savoir si le sac était un Wal-Mart ou un Vuitton, c’est ce que vous obtenez quand vous remportez le pouvoir avec des promesses de « faire les choses différemment » de vos prédécesseurs.

Le plus gros problème, cependant, reste l’obstination continue du gouvernement dans l’affaire Atwal, qui a déjà engendré un « filibuster » de la part de l’opposition et qui menace d’en engendrer un autre. Dans ce cas, les libéraux refusent de permettre au conseiller à la sécurité nationale, Daniel Jean, d’expliquer aux députés des remarques qu’il a faites lors d’un point de presse, à propos des forces du gouvernement indien qui ont tenté d’embarrasser Trudeau en invitant Jaspal Atwal, un ancien extrémiste sikh condamné pour tentative de meurtre, lors d’un soirée organisée dans le cadre de la récente tournée du premier ministre en Inde. Atwal a réfuté les déclarations de Jean, le gouvernement indien a exprimé son indignation, et les députés de l’opposition ont accusé le premier ministre d’utiliser Jean pour « faire croire à une théorie du complot voulant que le gouvernement indien chercherait à faire mal paraître les libéraux ». En guise de réponse, Trudeau a défendu les commentaires de Jean, et les libéraux ont offert un « briefing classifié » au chef conservateur Andrew Scheer, mais ont refusé de laisser Jean témoigner devant le Parlement.

L’hypocrisie est à couper le souffle, lorsqu’on se souvient, il y a quelques années à peine, de la façon impitoyable dont les libéraux ont mis les conservateurs au pilori avec l’affaire Duffy. La question était de savoir si Nigel Wright, le chef de cabinet du premier ministre Harper, avait informé son patron d’un paiement personnel offert à Duffy afin de rétablir l’intégrité du sénateur accusé d’avoir réclamé des dépenses qu’il a dû par la suite rembourser. Trudeau a exigé que les membres du cabinet du premier ministre soient congédiés et que Harper fasse toute la lumière sur son rôle dans l’affaire. Était-il au courant de l’argent? Avait-il demandé qu’il soit payé? Selon Trudeau, « M. Harper continue d’ignorer les appels à répondre aux questions, à expliquer pourquoi il garde autour de lui ces gens qui ont été impliqués dans une opération de camouflage visant à cacher la vérité aux Canadiens, pourquoi il continue à les garder dans son entourage et à mener sa campagne. »

Maintenant que la chaussure est dans l’autre pied, c’est silence radio. Et le silence est assourdissant : un audit d’accès à l’information de 2017 financé par le groupe New Media Canada, représentant plus de 800 titres imprimés et numériques, a donné une note d’échec au gouvernement. « Le gouvernement libéral a encore beaucoup de chemin à faire s’il veut tenir ses promesses d’un gouvernement transparent », peut-on lire dans le rapport, qui souligne que le système s’enlise au point où il ne fonctionne souvent plus. À titre de réponse, les libéraux ont blâmé leurs prédécesseurs conservateurs – mais ils n’ont toujours pas réglé les problèmes qui affligent le système. Ils ont échoué dans leur tentative de modifier la Loi sur l’accès à l’information tel que promis, et la loi actuelle qu’ils ont proposée a mérité les moqueries de la commissaire à l’information sortante, Suzanne Legault, qui a déclaré que « le projet de loi C-58 est un projet de loi pour la bureaucratie, pas un projet de loi pour la transparence ».

Pourquoi? Parce que pour les libéraux, comme pour tous les gouvernements, le secret convient parfaitement. L’information, c’est le pouvoir, et garder le couvercle sur des gaffes embarrassantes ou sur des rapports compromettants aide à se maintenir au pouvoir, en refusant de donner à l’opposition et aux médias les munitions qui serviraient à vous faire tomber. Le problème est que lorsque vous mettez la barre pour la transparence si haute, vous vous préparez à une plus grande chute. La lumière du soleil est peut être un bon désinfectant, mais elle est également impitoyable. Si Trudeau veut éviter le sort d’Icare, il aurait dû en promettre moins pour en livrer plus.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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