Enfermez-la! Un cri de ralliement qui en dit long sur l’état de la politique conservatrice

Les memes de l’Alt-Right sont imités chez nous – et certains candidats ne semblent pas s’en formaliser

La popularité du mouvement Alt-Right (droite alternative) est-elle en croissance au Canada? Si oui, quelles en sont les implications pour la politique canadienne? Si un récent rassemblement anti-taxe carbone à Edmonton nous démontre quelque chose, c’est que le mouvement prend de l’ampleur – et qu’il s’inspire de la campagne présidentielle de Donald Trump.

Le rassemblement en question a été organisé par Rebel Media, un site de nouvelles en ligne inspiré du site américain Breitbart News. The Rebel est présentement en mode expansion, avec la tenue d’une campagne de socio-financement afin de devenir « plus grand que la CBC », selon les termes du fondateur et « commandant Rebel en chef », Ezra Levant. Ce qui est plutôt ironique, puisque ne pas parler aux « grands médias » a été la première des nombreuses pages du livre de stratégie de Trump que ses organisateurs d’événements ont arrachées.

Levant a exhorté la foule à ne pas parler aux journalistes de CBC, les qualifiant d’extrémistes et de militants. Plus ironique encore : The Rebel a crié son indignation lorsque le gouvernement de l’Alberta l’a temporairement banni des événements de presse plus tôt cette année, en utilisant à peu près le même argument que Levant a utilisé pour boycotter la CBC – que les employés de Rebel Media sont des militants et non des journalistes. The Rebel a par la suite prouvé que le gouvernement avait raison depuis le début en prenant le rôle d’activiste dans l’organisation du rassemblement d’Edmonton.

Le deuxième « moment à la Trump » du rassemblement est arrivé lorsque l’ouvrier de plate-forme pétrolière et militant Bernard ‘the Roughneck’ Hancock a prononcé un discours dans lequel il en a appelé aux pirates informatiques pour qu’ils infiltrent les ordinateurs du gouvernement albertain. « Je sais qu’il y a un tas de trucs là-dedans qu’ils peuvent déterrer sur ce qui se passe dans ce bâtiment », a-t-il déclaré, en pointant vers l’Assemblée législative de l’Alberta. « Nous avons besoin de leur aide. » (Au moins, il n’en a pas appelé à des puissances étrangères pour le faire, des pirates locaux, semble-t-il, suffirait.)

Mais l’élément le plus troublant du rassemblement, emprunté directement aux récentes élections américaines, a été le fait que la foule a scandé : « Enfermez-la! Enfermez-la! » – des mots clairement dirigés vers la première ministre NPD, Rachel Notley, et inspirés par l’opposition à son plan de taxe sur le carbone. Les chants sont venus en réponse à une adresse faite par le candidat à la direction du Parti conservateur, Chris Alexander, qui a livré un discours enflammé qui attaquait le plan.

Qu’a été la réaction d’Alexander? Il a semblé amusé par la situation – bien qu’il ait prétendue plus tard avoir essayé d’amener la foule à chanter, « Mettez-la dehors! », mais sans arriver à se faire entendre dans tout le vacarme.

« Je pouvais clairement entendre ce qu’ils scandaient et j’étais mal à l’aise … » dit-il. « Ce n’est pas quelque chose que j’ai initié, ce n’est pas quelque chose que j’ai dit à un moment donné et ce n’est pas quelque chose avec laquelle je suis d’accord. Je souriais parce que j’essayais de penser à un moyen de changer le chant. »

Supposons un instant que la version des événements d’Alexander est vraie. Lorsque la foule a continué à demander fortement l’arrestation de la première ministre dûment élue de l’Alberta, la réponse appropriée d’une personne qui veut être premier ministre aurait été de dénoncer verbalement cette demande. Bien sûr, cela n’aurait pas été bien reçu par certaines personnes présentes dans la foule – mais cela aurait pu être géré avec grâce en soulignant que les conservateurs ont tendance à citer la liberté comme étant une vertu conservatrice, et que nous n’enfermons pas les gens au Canada juste parce que nous sommes en désaccord avec eux.

Dans le contexte des rassemblements de campagne de Trump, le chant était, bien sûr, dirigé vers Hillary Clinton. Mais contrairement à Clinton, Notley n’a jamais été accusée de comportement criminel; il n’y a aucune base juridique pour même penser à « l’enfermer ». La seule base pour expliquer le chant de la foule est politique : ils n’aiment pas ses politiques, en particulier son plan pour lutter contre les changements climatiques qui imposera des plafonds d’émissions sur l’industrie pétrolière de la province. (Ce plan, bien sûr, a été l’un des facteurs qui ont amené le gouvernement fédéral à approuver le pipeline de Kinder Morgan – un quid pro quo que la foule d’Edmonton ne semblait pas être en mesure d’apprécier.)

Les dictateurs emprisonnent leurs opposants politiques. Les extrémistes de gauche et de droite demandent habituellement l’emprisonnement de ceux qui adoptent des politiques qu’ils jugent offensantes. C’est une position qui n’a pas sa place dans une société libre – ici ou ailleurs. Même Trump lui-même a reculé sur sa propre rhétorique, disant qu’il ne poursuivra pas Clinton – malgré avoir gagné des millions de votes en promettant de le faire.

Et cela explique pourquoi la tactique est en train de s’imposer dans la course conservatrice : ça a marché. Jouer la carte Trump nous rappelle Kellie Leitch, candidate à la direction du Parti conservateur, dont la proposition de filtrer les immigrants et son appui enthousiaste à Trump l’ont aidée à se placer au premier rang dans les récents sondages d’opinion. Le candidat Steven Blaney a pris les mêmes raccourcis quand il a annoncé son intention d’interdire le port du niqab dans la fonction publique – ce qui n’est guère le problème le plus pressant pour la plupart des Canadiens, mais un dossier qui qui a enflammé les passions lors de la récente course à la chefferie du PQ, également à la remorque de la campagne de Trump.

Dans une entrevue, suite au rassemblement, Alexander a dit qu’il pensait que le chant émanait d’un lieu commun de douleur. « L’Alberta souffre. Le taux de chômage est de neuf pour cent. C’est le plus haut depuis 22 ans. »

C’est vrai. Mais le rôle des politiciens est censé être de calmer les peurs irrationnelles, pas de les nourrir. Ils sont censés conduire les citoyens vers un meilleur endroit, pas de viser le plus petit dénominateur commun. Ce dont les conservateurs – et les Canadiens – ont besoin en ce moment, ce sont des dirigeants qui peuvent faire cela, au lieu de copier les slogans extrémistes des autres.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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