Nous n’avons pas encore de crise d’immigration. Faisons en sorte que ça reste comme ça.
Pour la plus grande part de leur histoire, les États-Unis ont été un phare pour les peuples du monde aspirant à vivre librement. Il s’agissait de la destination de choix pour ceux qui cherchaient à échapper aux conflits et à la tyrannie, à jouir d’une égalité des chances et à se bâtir une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs familles.
Aujourd’hui cependant, beaucoup ont d’autres perceptions du pays. L’élection du président Donald Trump, sa rhétorique anti-immigration, son engagement à fermer la frontière sud du pays, son interdiction de voyage pour sept pays à majorité musulmans et son « durcissement » en matière de déportations, ont atténué l’éclat des États-Unis.
Par conséquent, les yeux et les pieds se tournent vers le nord. Au mois de janvier, 452 demandes de statut de réfugié ont été déposées à la frontière Québec-USA, comparativement à 137 en janvier 2016. Le site Web d’immigration de l’Ontario est tombé en panne lorsqu’on a réactivé le Programme ontarien des candidats à l’immigration, enregistrant 117 000 visites liées à 6 000 postes de candidatures en seulement trois jours. Et une version 21ème siècle du fameux « chemin de fer souterrain » s’ouvre, alors que des églises américaines offrent un sanctuaire aux immigrants illégaux – et aident certains d’entre eux à traverser la frontière vers le Canada.
Et que fait Ottawa face à cette situation? Trop peu. Le ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen, a déclaré que le Canada n’annulerait pas l’Entente entre le Canada et les États‑Unis sur les tiers pays sûrs, même s’il crée une échappatoire qui encourage les passages illégaux en permettant à ceux qui le font de revendiquer le statut de réfugié. Le gouvernement n’envisage pas non plus fermer cette échappatoire, comme l’ancien ministre de l’Immigration Jason Kenney l’a suggéré, afin d’arrêter « d’inciter les gens a entré illégalement et dangereusement au pays ».
« À ce jour », a déclaré Hussen, « nous continuons à surveiller la situation de très près. Le système américain de demandes d’asile est mis à la disposition des demandeurs d’asile ».
Au lieu de cela, l’Agence des services frontaliers du Canada a installé cette semaine une remorque à Emerson, au Manitoba, pour traiter les demandes des migrants clandestins qui arrivent maintenant de façon quotidienne – 143 depuis le début de l’année, une douzaine au cours des deux derniers jours seulement. On pourrait quasiment en rire – si des gens ne perdaient pas des doigts et des orteils lors de leurs traversées dans le froid qui durent souvent quelques heures ou que des bébés sont traînés dans des sièges d’auto dans des conditions où la neige atteint parfois la taille.
Pire encore était l’affirmation du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, selon laquelle ces traversées étaient planifiées par les migrants depuis le début. « La grande majorité … transitent effectivement par les États-Unis », a-t-il déclaré à Vassy Kapelos, au cours du week-end à l’émission The West Block. (Au creux des hivers manitobain ou québécois, quand c’est le plus dangereux de le faire?) Lorsqu’on leur demande pourquoi ils traversent illégalement, Goodale n’a pu vraiment répondre : « C’est une très bonne question … C’est une autre partie de notre analyse ».
Ces semblants de réponses ne sont tout simplement pas acceptables. Ce filet constant d’entrées illégales a crû depuis l’élection de Trump. Partout dans le monde, on tweet des images de policiers canadiens « accueillant » (lire : arrêtant) des dizaines d’immigrants illégaux. Pendant ce temps, les Canadiens se demandent ce que fait leur gouvernement pour remédier aux craintes liées à la sécurité du pays et aux coûts pour le trésor public.
N’oubliez pas que ce n’est pas Ottawa qui supportera le coût du traitement des immigrants illégaux; ce sont les provinces et les municipalités. Bien que l’immigration relève de compétence fédérale, ce sont les niveaux de gouvernement qui fournissent les services de base qui seront les plus touchés. Les provinces devront faire face à une demande accrue de soins de santé et d’éducation. Les villes verront une plus grande utilisation de leurs programmes et infrastructures, tels les centres communautaires, les bibliothèques, le transport en commun et la collecte des ordures. Avec le phénomène croissant des « Villes sanctuaires » au Canada, l’application de la loi est également relayée au premier plan : à Toronto, les policiers se demandent maintenant s’ils doivent passer d’une politique de « ne pas demander » aux clandestins à une de « ne pas demander, ne pas divulguer ».
Le secteur privé en ressentira également les contrecoups. Toronto et Vancouver, où le logement est déjà presque inabordable, pourraient voir leurs marchés immobiliers être encore plus soumis à la pression. Et les travailleurs à faible salaire pourraient se voir expulsés de leurs emplois par des immigrants clandestins prêts à travailler sous la table pour un salaire inférieur au salaire minimum dans des industries telles que la construction, le travail domestique et les services de restauration – comme cela s’est produit aux États-Unis.
Le président Trump devrait signer ce mercredi un nouveau décret supposément « impeccable » sur l’immigration, et nous pouvons nous attendre à ce que le nombre de demandeurs d’asile et d’immigrants clandestins augmente. Le premier ministre Justin Trudeau a besoin d’un plan pour encourager l’immigration légale et le traitement efficace et humain des migrants avant que ce phénomène des traversées de la frontière ne se transforme en véritable crise.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.