« Aujourd’hui », a déclaré un Pierre Karl Péladeau émotif en conférence de presse cet après-midi, « je suis devant une absence d’alternative qui me force à faire un choix déchirant entre ma famille et mon projet politique. Notre projet politique, qui est partagé par tant de citoyens. J’ai choisi ma famille. Je vous annonce donc qu’à regret, je quitte immédiatement mes fonctions de chef du Parti québécois, de chef de l’opposition officielle et de député de Saint-Jérôme. Je prends cette décision pour le bien de mes enfants. Je dois, pour eux, demeurer un exemple. »
Avec ces mots, Péladeau a laissé la classe politique du Québec – et en fait, tout le monde qui possède un téléviseur dans la province – en état de choc, bouche bée.
Péladeau n’était pas seulement un autre politicien. Issu d’une famille ayant fait fortune dans l’édition, Péladeau a présidé un empire médiatique – des chaînes de télévision, des journaux, des magazines et le service de câble Vidéotron – avant d’entrer en politique. Il était marié à la star de la télé et productrice Julie Snyder, avec qui il a eu deux enfants, âgés de 11 et 7. Il a remporté haut la main la direction du PQ avec 57 pour cent du vote, le 15 mai 2015 – il y’a moins d’un an.
Péladeau était plus grand que nature, mêlant dans un même tout : affaires, politique et célébrité. Mais ces derniers mois, la marmite a commencé à bouillir. Même si le gouvernement libéral provincial du premier ministre Philippe Couillard avait imposé deux années d’austérité économique et subi la honte de voir une de ses importantes ministres impliquée dans un scandale de conflit d’intérêts, Péladeau ne parvenait pas à faire une brèche dans les résultats de sondage de Couillard.
La semaine dernière, Péladeau a remplacé son chef de cabinet et secoué son entourage immédiat. Sa relation en montagnes russes avec Snyder avait échoué encore une fois; cinq mois après leur mariage, en août dernier, ils s’étaient séparés.
Invitée au populaire talk-show québécois Tout le monde en parle dimanche soir, Snyder a parlé de la façon dont le couple et leurs enfants étaient en médiation familiale, comment c’était difficile, comment elle et Pierre Karl devaient être un bon exemple pour leurs enfants.
L’apparition télé de Snyder aura-t-elle eu raison des ambitions politiques de Péladeau? Ou s’est-elle sentie libre de participer à l’émission parce qu’elle savait que Péladeau allait quitter la politique? On pourra spéculer tant qu’on voudra, à la fin, ça n’a pas d’importance. Péladeau est parti et la question maintenant est qu’adviendra-t-il du parti qu’il était censé sauver.
À court terme, le départ de Péladeau est un coup dur pour le PQ. Personne ne l’a vu venir, rien n’a été préparé. Un chef intérimaire devra maintenant être choisi et une course au leadership organisée – seulement deux ans avant la prochaine élection provinciale. D’importantes ressources et beaucoup de temps qui auraient pu être consacrés à cette élection vont maintenant être détournés vers la course.
Ensuite, il y a la question des candidats. Plusieurs des anciens adversaires de course de Péladeau pourraient se présenter à nouveau, on pense aux députés Alexandre Cloutier, Martine Ouellet, Bernard Drainville et Jean-François Lisée. La députée Véronique Hivon, qui a dirigé le comité sur l’aide à mourir au Québec, est également mentionnée comme un possible candidate. Et puis il y a Jean-Martin Aussant, économiste, musicien, ancien député péquiste et fondateur de l’Option nationale, qui a récemment pris la tête d’un groupe de réflexion économique. Il est aimé de l’extrême gauche, y compris de nombreux péquistes qui n’aimaient pas l’inclinaison politique de droite de Péladeau.
Car malgré son statut de star, Péladeau n’a jamais été un arrangement facile pour le PQ. Comme homme d’affaires, il a joyeusement mis en lock-out les syndicats au Journal de Montréal et fait des dons en argent à l’Institut Fraser, un think tank qui prône le libre marché. En tant que politicien, il a dirigé un parti fondé sur des principes socio-démocrates et comptant sur le soutien du mouvement syndical. Et pendant des mois, après son élection comme chef du parti, Péladeau a été pressé de questions concernant un possible conflit d’intérêts, alors qu’on apprenait qu’il conservait encore un certain contrôle sur Québecor – en dépit de l’exigence qu’il mette ses actifs dans une fiducie sans droit de regard.
À certains égards, son départ pourrait permettre au parti de redécouvrir ses racines politiques, une fois libéré du poids de sa célébrité. Le prochain chef n’aura sans doute pas le panache de Péladeau, mais il ou elle sera probablement plus près des valeurs de René Lévesque que de celles de Star Académie.
Que cela puisse faire revivre une ferveur séparatiste, on ne le sait pas. Mais les fédéralistes ne devraient pas commencer à danser tout de suite sur la tombe du parti.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.