Doug Ford met en garde les élites politiques du reste de l’Ontario

Membres de l’élite, démarrez vos moteurs!

La course à la direction du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario, qui a débuté officieusement avant même que le cadavre de Patrick Brown ne commence à se refroidir jeudi soir dernier, a pris un autre tournant – et ça en est un qui risque de définir la course. Doug Ford, homme d’affaires, ancien conseiller municipal de Toronto et, bien sûr, frère du maire de Toronto, Rob Ford, a retiré sa candidature au poste de maire de Toronto et cherche maintenant à succéder à Brown comme chef du parti. Et le thème de sa campagne peut se résumer en quelques mots: membres de l’élite, méfiez-vous!

« J’avais l’intention de devenir maire de cette grande ville », a déclaré Ford lundi, « mais je ne peux pas regarder le train passer; j’aime tomber entre les mains de l’élite. Les élites ont exclu les membres de la base, la base de notre parti … Les élites de ce parti, celles qui ont exclu la base, ne veulent pas de moi dans cette course. Mais je suis ici pour donner une voix … pour donner une voix aux contribuables assidus de cette province, des gens qui ont été ignorés depuis trop longtemps. »

Ford a fait cette annonce anti-élite, ironiquement, dans le sous-sol de la vaste demeure de sa mère à Etobicoke, source même de la dynastie politique Ford qui comprend son défunt père (Doug Ford Senior, député de 1995-1999), son défunt frère (Rob Ford , conseiller municipal puis maire de Toronto de 2010 à 2014), et son neveu (Michael Ford, ancien administrateur et présentement conseiller municipal dans l’ancienne circonscription de Rob Ford d’Etobicoke-Nord). Doug, lui-même, a servi et a couru sans succès pour le poste de maire en 2014 contre John Tory.

En matière de dynasties politiques – lire : les élites –, les Ford n’ont pas vraiment beaucoup de concurrence dans la région du Grand Toronto ou même en Ontario. Mais ce n’est sans doute pas comme ça que Ford va le présenter. En dépit de leur richesse et de leur influence, les Ford ont une tradition familiale de communion avec le commun des mortels et de liens avec les électeurs beaucoup moins riches qu’eux.

Alors, qui sont les élites dont parle Ford? C’est une longue liste : les membres du caucus (qui ne voulaient pas d’un vote de leadership si proche de l’élection), les membres de l’exécutif du parti (divisés à savoir s’ils veulent en avoir un de toute façon, par opposition aux élus), et les responsables des jeux de coulisses que certains accusent d’avoir facilité l’éviction de Brown, et d’avoir introduit avant l’élection un éventuel remplaçant plus « vendable », pour le bien du parti, peut-être, mais aussi pour le bien de tous ceux qui ont intérêt à voir les conservateurs vaincre les libéraux en juin.

Ce remplaçant pourrait prendre de nombreuses formes, qui feraient aussi toutes parties des « élites » dans le livre de Ford : le député provincial Vic Fedeli, le nouveau chef par intérim, qui a annoncé son intention de briguer un poste; Rod Phillips, l’ancien chef de la chaîne de journaux Postmedia et candidat dans la nouvelle circonscription d’Ajax; et le maire de Toronto, John Tory, jusqu’à ce qu’il s’interroge publiquement ce week-end sur les médias sociaux. Mais un nom se démarque des autres – et en termes d’élites, c’est celui qui est le plus susceptible d’intéresser Ford.

Ce nom est Caroline Mulroney, candidate pour le Parti conservateur dans York-Simcoe. Mulroney est la fille d’un ancien premier ministre, une avocate formée à Harvard, qui est accomplie et bien connectée. Elle a présenté une performance des plus remarquées lors de la dernière convention au leadership du Parti conservateur fédéral, où elle était co-animatrice. Elle est polie, urbaine et raffinée – tout ce que Ford n’est pas – et bien que ses tendances politiques personnelles soient peu connues, elle mettrait un visage féminin crédible sur la plate-forme du parti, maintenant que l’image de Brown ne peut plus s’y trouver.

Même si elle ne l’a pas officiellement annoncé, Mulroney agit clairement comme une candidate. Quinze minutes après la démission de Brown, vendredi à 1 h 25 du matin, elle a posté un tweet exhortant « les femmes et les hommes du parti PC à se joindre à (elle) afin de lutter pour un monde où ce genre de comportements n’est plus toléré ». Alors que l’exécutif du parti discutait de la tenue d’une course au leadership, le lendemain après-midi, ses supporteurs ont lancé une page Facebook et un compte Twitter appelant à un « Mouvement Mulroney », ostensiblement pour la convaincre d’être dans la course. Plus tard dans la journée, le Toronto Star a rapporté que quatre des proches de Patrick Brown, Walied Soliman, président de la campagne du PC, Andrew Boddington, ancien directeur de campagne, Dan Robertson, gourou de la publicité, et Hamish Marshall, stratège, s’étaient ralliés derrière elle. (De prétendre que ces gens n’avaient pas envisagé cette possibilité avant vendredi serait naïf, le terme « coup » n’a pas circulé pour rien dans les couloirs de Queen’s Park…)

Le talon d’Achille de Mulroney, bien sûr, c’est qu’elle n’a aucune expérience politique, ce qui l’expose à une chute potentiellement brutale : la politique est un monde cruel, les attentes sont très élevées et sa courbe d’apprentissage sera si rapide. Sa possible entrée en jeu évoque une autre candidature de star féminine : celle de Belinda Stronach – également une femme polie et intelligente – qui s’est brûlée lors de la course à la direction du Parti conservateur fédéral en 2004. Elle a ensuite fait les manchettes pour avoir sorti avec (et quitté) son collègue Peter MacKay, traversé le plancher de la Chambre pour rejoindre les libéraux, avant de se retirer de la vie publique pour retourner dans le privé, à son entreprise familiale. Pas vraiment les grandes réalisations auxquelles les gens s’attendaient…

L’entrée en jeu de Ford pourrait aider Mulroney, ne serait-ce que parce qu’elle polariserait la course à un point tel que la candidate pourrait bénéficier d’un mouvement « n’importe qui sauf Ford », si un tel mouvement la plaçait en seconde position dans les intentions de votes. Par contre, les candidats « anti-Ford » pourraient finir par scinder le vote en deux et s’attaquer les uns les autres – à moins qu’ils ne concluent un accord pour empêcher Ford de prendre la couronne.

Une autre possibilité est que la déclaration de Ford poussera l’exécutif du parti à renverser sa décision et à annuler la course – craignant perdre une partie de leur contrôle sur le Parti, advenant une course basée sur la division et une victoire de Ford. Avec la démission du président du PC, Rick Dykstra, suite à des allégations d’agression sexuelle, ce parti a plus que jamais besoin de stabilité et d’unité. Mais renverser la décision ne ferait qu’enrager les gens mêmes dont le parti a besoin pour se battre aux prochaines élections: les gens de la base, les mêmes personnes que Ford accuse d’être à court d’idées face à ces « ignobles élites ».

Alors préparez-vous, conservateurs, à toute une course à rebondissements. Et ceci n’est que le premier round. Prochain arrêt : l’élection!

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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