Dites adieu à la réforme électorale!

Les libéraux ne peuvent pas obtenir l’option qu’ils veulent. Attendez-vous à ce qu’ils abandonnent l’idée.

Réforme électorale, on a à peine eu le temps de connaître. Alors que la session d’automne du Parlement tire à sa fin, et qu’on se dirige vers les vacances de Noël, il semble que l’une des promesses de campagne les plus ambitieuses des libéraux – que l’élection de 2015 soit la dernière tenue sous le présent système de scrutin – soit en voie de se retrouver aux poubelles.

Ce week-end, à l’émission Question Period, sur les ondes de CTV, la ministre des Institutions démocratiques, Maryam Monsef, a déclaré : « Nous sommes engagés dans cette initiative, mais nous n’allons pas aller de l’avant si nous n’avons pas un appui important de la population canadienne, pour qui nous effectuons ce changement. »

Traduction : Nous n’avons pas obtenu le soutien dont nous avions besoin pour le système que nous préférions – le scrutin préférentiel – et nous cherchons maintenant une porte de sortie.

Ce recul ne surprend pas tellement. Les libéraux l’ont préparé depuis au moins un mois, en commençant par la déclaration du premier ministre lors d’une entrevue accordée fin octobre au quotidien Le Devoir : « Sous M. [Stephen] Harper, il y avait tellement de gens mécontents du gouvernement et de son approche que les gens disaient “ça prend une réforme électorale pour ne plus avoir de gouvernement qu’on n’aime pas”. Or, sous le système actuel, ils ont maintenant un gouvernement avec lequel ils sont plus satisfaits. Et la motivation de vouloir changer le système électoral est moins percutante [ou moins criante] ».

Deux semaines plus tard, Monsef a écrit une lettre au comité spécial sur la réforme électorale dans laquelle elle affirmait que : « les Canadiens qui ont assisté à nos réunions ont défendu avec passion divers systèmes. Même si j’ai entendu des présentations passionnées de la part des partisans de la représentation proportionnelle et du système actuel, je n’ai pas encore vu se dégager de consensus pour l’une ou l’autre des options. »

Pas de consensus? Pas exactement. Il y avait un consensus – du moins parmi ceux qui se sont présentés aux réunions. C’était pour la représentation proportionnelle. Une fois les consultations terminées, Fair Vote Canada (Représentation équitable au Canada), une organisation qui milite en faveur de la représentation proportionnelle depuis 2001, a envoyé un communiqué de presse contenant quelques chiffres révélateurs. Quatre-vingt-huit pour cent des témoins experts ayant une position sur les systèmes de vote appuyaient la représentation proportionnelle. Seulement 4 % appuyaient le choix préféré du premier ministre et de la ministre Monsef, le scrutin préférentiel. Quatre-vingt-huit pour cent des 428 participants ont réclamé, à micro ouvert, la représentation proportionnelle.

Pour les libéraux, cela pose un problème de taille. De toutes les options proposées, la représentation proportionnelle est celle qui affaiblirait le plus, voire détruirait, la capacité du parti à former des gouvernements majoritaires. Dans le cadre d’un scrutin comme le dernier en lice ou d’un scrutin préférentiel, les libéraux auraient encore la chance de former des majorités; en fait, un système de scrutin préférentiel leur aurait donné une plus grande majorité que celle qu’ils ont gagnée en 2015.

Mais la représentation proportionnelle produirait le résultat inverse. Sauf si un parti a obtenu 50 pour cent plus un des voix – un ordre élevé, même pour Trudeau –, il ne pourrait constituer le gouvernement qu’en formant des coalitions … dans le cas des libéraux, très probablement avec le NPD et les Verts.

Ce qui est une raison pour laquelle ces partis aiment la représentation proportionnelle: ce système représente leur porte d’entrée au pouvoir. Sur la page des partisans du site de Fair Vote Canada, qui plaide en faveur de la représentation proportionnelle, on retrouve Elizabeth May et Tom Mulcair, et des amis de leurs partis, dont David Suzuki, Greenpeace, le Conseil des Canadiens et une demi-douzaine de syndicats.

La plupart des partisans conservateurs qu’on retrouve sur le site de Fair Vote Canada, comme Nancy Ruth et Patrick Boyer, se positionnent dans l’aile « progressiste » de leur parti. Les voix libérales sont celles de Bob Rae, ancien leader néo-démocrate de l’Ontario, et du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion (qui ne propose pas une représentation proportionnelle pure et simple, mais « une combinaison de représentation proportionnelle modérée et de scrutin préférentiel »), et l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, qui est cité comme ayant milité en faveur d’« un système de scrutin plus proportionnel », sans préciser à quoi cela ressemblerait dans les faits.

Pour être juste, Fair Vote Canada préconise la représentation proportionnelle depuis 2001. Il n’existe pas d’organisation comparable prônant le scrutin préférentiel ou le statu quo. Il ne faut donc pas s’étonner si la représentation proportionnelle a été la plus populaire des options lors des consultations publiques. Les gens qui la réclament se sont mobilisés depuis des années, en attendant ce moment. Les gens qui sont passionnés par la réforme électorale – ceux qui se donnent la peine de consacrer du temps à plaider en faveur du changement – sont plus susceptibles d’être représentés de façon disproportionnée dans les consultations.

Même parmi les Canadiens moins impliqués, la représentation proportionnelle a un autre avantage : c’est le seul système qu’on puisse expliquer dans un clip sonore de dix secondes. Vous obtenez 20 pour cent des voix? Vous obtenez 20 pour cent des sièges. Essayez d’expliquer le système actuel ou le scrutin préférentiel dans un tour d’ascenseur, et vous ne serez même pas en mesure d’expliquer leurs acronymes avant que les portes ne se referment dans votre visage.

Tout cela aide à expliquer pourquoi le NPD, auparavant complètement fermé à l’idée d’un référendum sur la réforme électorale, a soudainement fait volte-face, il y a deux semaines, et a dit qu’il allait maintenant en appuyer un. Le parti a sans doute été également stimulé par les résultats d’un référendum à l’Île-du-Prince-Édouard qui ont approuvé de façon serrée le rejet du présent système de scrutin pour un système de représentation proportionnelle mixte.

Mais cela n’aurait pas dû en être ainsi. Seulement 36 pour cent des insulaires ont pris la peine d’aller voter et le gouvernement provincial a déjà dit qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat, qui n’était pas contraignant parce que, comme l’a dit le premier ministre Wade McLaughlin, « la combinaison de la faible participation électorale et le niveau de soutien (pour le changement) signifie qu’un peu moins d’un électeur inscrit sur cinq a soutenu la représentation proportionnelle mixte … C’est pourquoi, il devra y avoir encore plus de débat. »

Ce qui ressemble beaucoup à ce que Maryam Monsef a dit le week-end dernier. Et les sondages sembleraient lui donner raison. Une enquête Abacus Data a révélé que les électeurs étaient également partagés entre la représentation proportionnelle et le système actuel, soit 44 pour cent de chaque côté.

Pire encore, seulement 12 pour cent des répondants ont dit qu’ils étaient extrêmement préoccupés par la réforme électorale. Et un autre sondage mené plus tôt par Ipsos Reid a révélé que seulement 19 % des répondants étaient même au courant que le gouvernement tenait des consultations sur la modification du système électoral.

En d’autres termes, quand il s’agit de la réforme électorale, les libéraux estiment probablement qu’ils sont en mesure de briser leur promesse et de s’en tirer à bon compte. Monsef est devenue l’agneau sacrificiel qui répète sans cesse la nécessité d’obtenir un « consensus » alors qu’elle sait qu’il n’existe pas.

Les adeptes de la représentation proportionnelle peuvent hurler, mais avec le nombre d’autres dossiers encombrant le calendrier du gouvernement, leurs voix seront disproportionnellement – et sans passion – noyées.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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