Devinez quoi, Canada! Nous sommes aussi (un peu) racistes

Un sondage montre que les sentiments anti-immigration et anti-élite sont profondément enracinés

Vous pensez toujours qu’il n’y a pas d’islamophobie au Canada? Détrompez-vous.

Un nouveau sondage CROP commandé par Radio-Canada a examiné les attitudes des Canadiens à l’égard des différents groupes de minorités et d’immigrants et a constaté que, malgré notre fierté face à notre tolérance et notre ouverture, cela ne s’applique pas de façon égale à tous les groupes. En ce qui concerne l’intégration à la société canadienne, seulement 12% des répondants estiment que les musulmans sont très bien intégrés à la société canadienne, comparativement à 47%, pour les Italiens, 43%, pour les Juifs, et 31%, pour les Asiatiques. Le second groupe considéré comme le moins bien intégré serait celui des Haïtiens, avec 14%.

De plus, un Canadien interrogé sur quatre, et un Québécois sur trois, est très ou plus ou moins en faveur d’une interdiction, à la Donald Trump, de l’immigration musulmane au Canada. Aussi, 60% des répondants du Québec, et 44% des répondants canadiens, se sentent très ou un peu défavorables à la construction de mosquées au pays, un pourcentage beaucoup plus élevé que le nombre de personnes qui s’objectent à la construction de maisons de culte d’autres religions.

Ces chiffres ne surprennent pas Amira Elghawaby, directrice des communications du Conseil national des musulmans canadiens. « Différents sondages indiquent qu’il existe des attitudes négatives envers les musulmans au Canada. Selon les chiffres de 2016 d’Abacus et de Forum Research, quatre Canadiens sur dix ont des opinions biaisées à l’égard des musulmans », a-t-elle déclaré à iPolitics.

Le sondage a également posé une autre série de questions en matière de confiance et des personnes qui gagnent celle des Canadiens. Bien qu’il y ait peu d’appétit pour un Trump canadien, le type de populisme et les contenus qui l’ont fait élire est très populaire ici. Quatre-vingt-huit pour cent des Canadiens, et neuf Québécois sur dix, ne croient pas les soi-disant « élites » – définies comme des politiciens, des hommes d’affaires, des scientifiques et des membres des médias – parce qu’elles ont toutes « quelque chose à vendre ».

En tout, 55% des répondants se sont dits « complètement » ou « très » d’accords avec ce sentiment. Au Québec, ce chiffre atteint 58% – un nombre qui a augmenté de façon assez constante depuis 2004, où il se situait à 41%. Cela fait écho aux conclusions d’autres études comme le Baromètre de la confiance 2017 d’Edelman, qui a révélé que la confiance est présentement « en crise » à travers le monde – y compris au Canada. Pour la première fois depuis 2012, année à laquelle Edelman a commencé à mesurer le degré de confiance envers les entreprises, le gouvernement, les ONG et les médias, le Canada a glissé dans la catégorie de « ceux qui ne font pas confiance ».

Cela nous amène à deux observations, qui ont toutes deux de graves répercussions sur la politique d’immigration des Canadiens. La première est qu’il existe une dissonance entre le manque de soutien pour un « Trump canadien » et le soutien des Canadiens pour certaines de ses politiques et le populisme qui les sous-tend. Rejeter un « Trump canadien » peut avoir plus à voir avec le style personnel du président américain, ou ses attitudes, que l’incarnation de son antiélitisme, ou ses opinions sur l’immigration.

Du côté conservateur du spectre, cela expliquerait l’attrait envers un candidat à la direction comme Kevin O’Leary, ainsi que la décision de la candidate Kellie Leitch de mener une campagne sur le thème du filtrage des nouveaux arrivants pour les valeurs canadiennes (74% des Canadiens interrogés, et un nombre semblable de Québécois, appuient l’idée). Cela a aussi des répercussions sur la course au leadership du NPD : le parti devrait-il élire un chef populiste dans le style de Bernie Sanders, ou poursuivre ses tentatives visant à se rapprocher davantage du Parti libéral et du centre du spectre?

Deuxièmement, cette méfiance envers les « élites » a de graves implications sur la manière dont la société encourage la tolérance et combat les préjugés, notamment envers les musulmans. Le sondage d’Edelman a révélé que 60% des répondants considèrent qu’« une personne comme moi » est aussi crédible qu’un expert. Pendant ce temps, les politiciens et les organismes de réglementation sont considérés comme « extrêmement / très crédibles » par seulement 29% des répondants. En ce qui a trait aux médias, le sondage CROP a révélé que si la plupart des gens forment leurs opinions sur la base de ce qui est rapporté par les médias, 59% des Canadiens affirment que les médias sont « complices » du pouvoir et de l‘« establishment » du pays.

Il ressort de ces constatations que les politiciens et les médias auront un impact limité sur l’évolution des attitudes et des préjugés face aux nouveaux arrivants, en particulier les musulmans. Les vives réactions générées par le projet de loi 103, et les messages haineux reçus par son auteure, la députée libérale Iqra Khalid, semblent mettre en lumière non seulement un sentiment antimusulman mais aussi un ressentiment envers les élites qui disent aux gens « comment penser ». Par conséquent, une façon plus efficace que les efforts « du haut vers le bas » de « prêcher » la tolérance, serait de créer des liens au niveau personnel et communautaire.

Selon Elghawaby, « les gens forment leurs opinions à partir de la façon dont ils ressentent les choses. Pour que les politiciens aient un quelconque impact, il faut qu’ils ressentent l’humeur de l’auditoire à qui ils s’adressent, plutôt que de tout baser sur les faits ». Elle cite des statistiques montrant que les crimes haineux contre les musulmans ont doublé au cours des trois dernières années, notant que ces résultats ne peuvent pas avoir un impact chez les gens qui se penchent sur ces questions en regard du projet de loi 103. « Ils peuvent voir d’un mauvais œil le fait qu’on singularise l’islamophobie comme question à examiner », et donc ils s’opposent à la motion.

Et tandis que les politiciens ont un rôle à jouer dans le changement – Elghawaby cite comme exemple la Direction générale de l’action contre le racisme de l’Ontario –, elle souligne également les efforts des musulmans canadiens, comme l’ouverture des mosquées à leurs concitoyens canadiens, et d’autres activités interconfessionnelles visant à ce que les gens se connaissent mieux l’un l’autre, comme autant d’éléments-clés qui changent les cœurs et les mentalités. « Beaucoup repose sur la façon dont les histoires entourant des musulmans canadiens sont racontées, souvent dans un contexte négatif. Quand les gens connaissent des musulmans, dans leur vie de tous les jours, ils ont une meilleure impression de toute la communauté. »

Dans un monde où les élites sont tombées de leur piédestal, rendre le politique plus personnelle – plutôt que l’inverse – pourrait donc être le meilleur moyen de construire des ponts et de lutter contre la peur. Et si l’on se fie à l’opinion publique, il semble qu’il reste beaucoup de travail à faire.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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