Deux conventions, deux visions

Pour les accros de la politique, c’est soit un rêve, soit un cauchemar : deux conventions, à près de deux mille kilomètres de distance, pour le gouvernement et le parti de l’opposition officielle. Comment suivre tous les tweets, ou décider de quels discours regarder et quand? Est-ce que CPAC va offrir en direct les diffusions simultanées, sur écran partagé?

À Winnipeg, des milliers de libéraux se réunissent pour débattre de questions de politique et de la constitution du parti. À Vancouver, des milliers de conservateurs font la même chose. Voilà pour les similitudes. Quand on regarde ce qui est sur la table à chaque événement, des distinctions claires émergent en termes de direction – et des défis – auxquelles sont confrontées les deux organisations. Et les décisions que les délégués prendront pourraient avoir un impact important sur les chances de victoire de leur parti lors des prochaines élections, et bien au-delà.

D’un point de vue organisationnel, les deux partis se dirigent dans des directions bien différentes. Les libéraux proposent d’ouvrir leur parti en matière d’adhésion, misant sur la catégorie « libre supporteurs» qu’ils ont testée, il y a trois ans, lors de leur course à la direction. Selon la nouvelle constitution à l’étude du parti, les « libéraux engagés » seraient en mesure de s’enregistrer sans avoir à payer de frais d’adhésion. Les conventions seraient ouvertes à tous, et non plus réservées à quelques milliers de délégués sélectionnés, et la participation en ligne serait encouragée. Également, les 18 constitutions de divers sous-groupes du parti, comme ceux des femmes et des jeunes, seraient mis au rancart en faveur d’une constitution « parapluie ».

En même temps, les changements proposés aux opérations du parti renforceraient le contrôle exercé par le chef et son équipe – en enlevant le pouvoir aux associations de circonscription et à leurs présidents. Tel que rapporté par Lee Berthiaume, du Ottawa Citizen, une source libérale senior affirme qu’« il y a une prise de pouvoir en cours au sein du Parti libéral du Canada. Le pouvoir est concentré dans un petit groupe de proches du leader, plutôt qu’entre les mains des membres ».

Les conservateurs voulaient d’abord augmenter le coût de l’adhésion, pour empêcher que leur course à la direction ne soit prise en otage par des groupes d’intérêt consacrés à une seule question. Cette proposition a été abandonnée, en partie en réaction à la proposition d’adhésion gratuite des libéraux.

Contrairement aux libéraux, cependant, les conservateurs sont à la recherche de moyens pour limiter le pouvoir des dirigeants au sein du parti, et non pas pour l’étendre. Les délégués au congrès sont supposés débattre de propositions visant à mettre une révision de la direction à l’ordre du jour de chaque congrès, et à imposer des limites aux mandats des dirigeants. Ils vont aussi parler de la création d’une aile jeunesse – les libéraux et le NPD ont leur propre aile, et l’ancien Parti progressiste-conservateur en a déjà eu une. Les ailes jeunesse ont tendance à confronter le chef du parti de temps à autre, mais ils sont de précieux outils pour régénérer une formation politique.

Le fait que ces deux partis adoptent des approches opposées à leur gouvernance interne n’est pas tout à fait surprenant, si l’on considère leur récente histoire. Les conservateurs ont passé neuf ans au pouvoir, avec un Cabinet du premier ministre contrôlant de plus en plus le message et les messagers. La campagne électorale des conservateurs est devenue en quelque sorte un référendum sur le premier ministre Stephen Harper, dont l’équipe ministérielle avait été réduite par des décès et des démissions dans l’année précédant l’élection.

Cela, couplé aux lignes de parti robotiques des ministres mineurs, a fait de Harper la seule tête d’affiche. Une stratégie qui s’est avérée risquée – en particulier pour un leader habitué à être isolé du monde extérieur par un cercle restreint de conseillers.

En revanche, les libéraux ont passé neuf ans dans l’opposition, sous la gouverne de trois dirigeants jusqu’à l’arrivée de Justin Trudeau. Le pouvoir de star de ce dernier a relancé leurs collectes de fonds et a eu un impact positif dans les sondages; en dépit d’une chute avant l’élection, Trudeau a su être à la hauteur au cours de l’épuisante campagne de deux mois. Alors qu’il avait une solide équipe de candidats, il était manifestement l’attraction principale. La « Trudeaumania » a remis le parti au pouvoir – et les libéraux lui en doivent une.

Ce simple fait donne à Trudeau un pouvoir important au sein du parti – pouvoir qu’il veut maintenant voir consolidé par écrit. Mais ce n’est pas la première fois qu’il l’a utilisé : les libéraux ont eu un aperçu du contrôle de type « sommet vers la base » à travers le processus de sélection des candidats, qui était censé être « ouvert », mais dans beaucoup de circonscriptions a été vu comme favorisant les candidats proches de Trudeau et de son équipe.

En d’autres termes, les libéraux se rapprochent des conservateurs, alors que les conservateurs tentent d’être plus comme les libéraux avaient l’habitude d’être. Comme l’écrivait avec ironie Susan Delacourt sur iPolitics, « si les libéraux se retrouvent avec un parti simplifié après le rassemblement de la fin de semaine à Winnipeg … ils auront Stephen Harper à remercier pour leur avoir montré la voie ».

Sur le plan des politiques, des différences nettes apparaissent aussi. Les conservateurs ont toujours lutté avec le problème d’unification des différentes factions de la droite – libertariens, conservateurs sociaux, conservateurs fiscaux et Red Tory, pour n’en nommer que quelques-unes. Deux résolutions en particulier menacent de relancer ces divisions.

La première laisserait tomber l’opposition du parti à l’institution du mariage de même sexe. La seconde protégerait « les droits des travailleurs canadiens qui croient en la définition traditionnelle du mariage de la discrimination en matière d’emploi sur la base de leurs croyances religieuses ». D’autres résolutions appuient « la liberté de conscience pour les médecins, les infirmières, et autres, qui refusent de participer, ou de référer leurs patients, à un avortement, au suicide assisté ou à l’euthanasie »; reconnaissent que le port d’armes à feu civile fait partie du « patrimoine canadien »; et insistent sur le fait que des « agents de la paix aient le droit d’émettre des contraventions pour la simple possession de petites quantités de marijuana ».

Ces résolutions reflètent la diversité des points de vue au sein du parti, et la tension qui existe encore entre les différentes factions du conservatisme, entre les membres ruraux et urbains, entre les générations.

Quant aux libéraux, leurs résolutions reflètent une vision beaucoup plus monolithique – que le gouvernement est le principal agent de changement social et de stabilité économique. Grâce à l’intervention de l’État, la plupart des résolutions alimenteraient le thème de l’égalité, que ce soit du genre, de la culture, de l’orientation sexuelle ou de l’accès aux ressources, y compris les soins de santé et le revenu. Parmi les propositions, on retrouve : rendre obligatoire la parité entre les sexes dans tous les conseils d’administration; la protection des droits des LGBQT et des réfugiés; offrir un revenu minimum garanti; fournir un accès élargi au logement abordable, aux soins de santé, aux soins palliatifs et à l’éducation; et les façons de « combler le fossé de la pauvreté ». Dans tous ces cas, l’État occupe une place centrale, renforçant le (grand) rôle du gouvernement comme l’ami des Canadiens.

L’unité dans les buts à atteindre versus la division sur les principes. Le leadership du sommet vers la base versus la révolte populaire. Les conventions libérale et conservatrice illustrent comment le pouvoir – ou l’absence de celui-ci – façonne les partis politiques. Et comment le pendule oscille lorsque les élections sont remportées et perdues.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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