Comment les mythes nationaux sont-ils créés? La recette classique est une part de faits, une part de spin, et une part de temps (et la perte de mémoire qui l’accompagne habituellement). Au Canada, il faut ajouter une part d’opposition: au cours des cinquante dernières années, nos mythes nationaux ont généralement impliqué un certain contraste avec ceux de notre voisin du Sud, les États-Unis. Ils ont servi à nous définir dans une mer d’influence économique et culturelle américaine, transformer notre complexe d’infériorité en un complexe de supériorité, et essayer de répondre à l’éternelle question: mais que veux bien vouloir dire « être Canadien »?
Le Canada est une mosaïque multiculturelle, tandis que les États-Unis sont un melting-pot (en fait, la plupart des immigrants systématiquement assimilés à la culture anglaise « dominante » jusque dans les années 1970). Le Canada est un pays de gros gouvernement, tandis que les États-Unis maintiennent une plus petite version de l’État (en fait, le ratio gouvernement-PIB aux États-Unis était supérieur au nôtre jusqu’à la fin des années 1960). Le Canada est une nation de gardiens de la paix, tandis que les États-Unis en est une de guerriers (en fait, les militaires canadiens ont pratiqué l’art de la guerre de façon très efficace au cours des deux guerres mondiales et de la guerre de Corée).
L’actuel gouvernement libéral est aussi déterminé à ressusciter ces mythes que le précédent gouvernement conservateur l’était à les démolir. Cette semaine, le premier ministre Justin Trudeau a visité l’Organisation des Nations Unies à New York. Il a annoncé que le Canada demanderait un siège au Conseil de sécurité pour 2021-22 – siège qu’il a perdu sous le gouvernement de Stephen Harper – et se recentrerait sur ses efforts de maintien de la paix. « Mes amis, il est temps. Il est temps pour le Canada d’être à nouveau présent », Trudeau a déclaré avec confiance (incitant l’ancien ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, à remarquer, non sans une certaine exaspération, « Nom de Dieu, mais où le premier ministre pense-t-il que nous avons été? »)
La semaine prochaine, avec le dépôt du budget fédéral, on sera de retour au mythe no 2: le Canada est un pays de gros gouvernement. Tel que mentionné plus tôt, cependant, le gouvernement du Canada – et ses taux d’imposition – n’ont pas commencé à se développer avant les années 1960 et l’expansion de l’État-providence canadien, incluant l’assurance-maladie et le Régime de pensions. Néanmoins, le déficit se profile à l’horizon comme un Léviathan en constante expansion: depuis ses débuts « modestes », telle une promesse de campagne de 10 milliards $, il a augmenté à un gigantesque 30 milliards $ en folles dépenses. Aucune main tendue ne sera laissée vide: des Premières Nations aux personnes âgées, des gouvernements provinciaux aux municipalités, les contribuables seront soudoyés non pas avec leur propre argent, mais avec de l’argent emprunté, qu’ils auront bien sûr (un jour) à rembourser.
Enfin, le mythe no 3, la mosaïque heureuse, le gouvernement a tourné son regard vers la politique d’immigration. Au cours du mois dernier, le ministre de l’Immigration, John McCallum, a annoncé plusieurs mesures qui vont inévitablement encourager l’effet de silo culturel, en attirant plus de Canadiens qui auront plus de difficulté à s’intégrer: les personnes sans compétences linguistiques en anglais ou en français, les réfugiés souffrant de problèmes de santé allant de la coqueluche au stress post-traumatique. Toutes des personnes qui dépendront du gouvernement pour leurs nombreux besoins, de l’aide sociale à l’hébergement aux soins de santé, et qui, par reconnaissance, voteront probablement libéral pour des générations à venir.
Et voici que nous arrivons à la véritable raison de la fabrication des mythes: le pouvoir. Celui ou celle qui écrit l’histoire en vient à façonner non seulement le passé, mais l’avenir. Le parti qui revendique l’identité canadienne aura plus de facilité à convaincre les électeurs qu’il parle pour eux. Et cela le désignera comme « le Parti tout désigné pour gouverner la nation » pour des cycles et des cycles électoraux, sans fin.
Les conservateurs savaient cela, et au cours des neuf dernières années ont désespérément tenté de renverser l’héritage des gouvernements libéraux des années 1960 et 1970. Mais ils n’y sont pas parvenus, parce que leur « coup de pied » dans la boîte a été trop faible, leurs symboles n’ont pas résonné, et ils ont été confrontés à une vague de nostalgie. Pour le centre du Canada en particulier, les célébrations de la guerre de 1812 et les monuments aux victimes du communisme ne pouvaient tout simplement pas rivaliser avec l’Expo 1967 et Pierre Elliott Trudeau introduisant la Charte des droits et libertés.
C’est ainsi qu’en 2016, les libéraux ramènent la nation au Canada de notre enfance. Aujourd’hui cependant, c’est nous qui faisons l’envie des États-Unis, au lieu de l’inverse – du moins dans les cercles libéraux. Alors que la Trumpmania engloutit l’Amérique, une nation tourne ses yeux fatigués vers… le Canada. « Le nouvel espoir du Canada », écrit l’ancien maire de New York et milliardaire philanthrope Michael Bloomberg de notre premier ministre. Le président Barack Obama célèbre Trudeau à la Maison-Blanche, le présentant comme l’anti-Trump. Les organisations de femmes saluent les quotas au sein de notre gouvernement et autres politiques « progressistes », alors que les ondes américaines sont saturées de publicités mettant en vedette des choses désagréables que Trump a dites au sujet des femmes.
Si le timing est tout en politique, le timing de Trudeau ne pouvait pas être plus parfait. Il ressuscite les mythes dont le monde rêve, sous la forme d’un Canada tolérant et pacifique, gouverné par un gros État. Combien de temps le mythe dure-t-il, on ne le sait pas: le chômage est à un niveau élevé de 7,3%, des dizaines de milliers de réfugiés sont confrontés au dur labeur d’intégration, et tous nos soldats de la paix dans le monde sont inutiles contre Daesh lorsqu’il n’y a pas de paix à maintenir. Mais dans un monde cruel, ça ne fait rien: son récit l’emporte.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.