Trudeau va-t-il prendre position sur les droits de l’homme, y compris la liberté de la presse?
Comme le premier ministre Justin Trudeau est en visite en Chine cette semaine, les journalistes vont se concentrer sur la façon dont il abordera la question des violations des droits de l’homme dans ce pays. Que dira-t-il au sujet du traitement des dissidents de la Chine? De son oppression du Tibet? Du cas de Kevin et de Julia Garratt, ces expatriés canadiens détenus sur des accusations d’espionnage qu’ils nient avec véhémence?
Mais il y a une autre question que devrait soulever M. Trudeau : les violations des droits de l’homme pratiquées par la Chine dans sa propre cour. Celles-ci incluent les tentatives de Pékin d’écraser la liberté d’expression outremer, soit ici, au Canada. Comme les liens entre les deux pays s’intensifient, il en est de même pour l’influence que Pékin cherche à exercer sur les Canadiens, certains d’origine chinoise, d’autres pas. Cela est troublant – et cela prend apparemment de plus en plus d’importance.
Les journalistes canadiens ont eu un aperçu de l’attitude musclée de la Chine cet été, quand lors d’une visite à Ottawa, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a réprimandé une journaliste qui l’interrogeait sur l’état des droits de l’homme dans son pays. Amanda Connolly, la journaliste spécialisée en matières de sécurité et de défense à iPolitics, avait posé la question suivante : « Il ne manque pas de préoccupations au sujet du traitement par la Chine des défenseurs des droits de l’homme, tels que les libraires de Hong Kong, et sa détention des Garratts, pour ne pas mentionner les effets déstabilisateurs de ses ambitions territoriales dans la mer de Chine du Sud. Compte tenu de ces préoccupations, pourquoi le Canada entretient-il des liens plus étroits avec la Chine, comment comptez-vous utiliser cette relation pour améliorer les droits de l’homme et la sécurité dans la région, et avez-vous soulevé spécifiquement le cas des Garratts lors de vos entretiens? »
En guise de réponse, Wang a fustigé la journaliste. « Je dois dire que votre question est pleine de préjugés contre la Chine et d’arrogance, d’où j’ai entendu cela venir, et c’est tout à fait inacceptable. Je dois vous demander si vous comprenez la Chine? Êtes-vous allée en Chine? Votre question est pleine de préjugés contre la Chine et d’arrogance …. Donc, je voudrais vous suggérer, s’il vous plaît, de ne pas poser des questions de façon aussi irresponsable et si nous accueillons les suggestions de bonne volonté, nous rejetons les accusations infondées ou injustifiées ».
Bien que cet épisode puisse avoir choqué des journalistes nés au Canada, pour beaucoup de ceux qui ont grandi en Chine, il n’y a rien de nouveau. Ils rapportent que les médias canadiens en Chine sont poussés par Pékin à rejeter les articles critiques du régime, ou qui soulèvent des questions de droits de l’homme. Jack Jia, 54 ans, éditeur du journal et du site Web chinois News Group, basés à Toronto, a déclaré au Hamilton Spectator cette semaine que l’influence de la Chine avait « grandi de plus en plus » au cours des dernières années. « Ils veulent tout contrôler », a déclaré Jia, citant des demandes par le consul général de la Chine à Toronto pour cesser de publier des annonces sur des adeptes de Falun Gong, un mouvement spirituel interdit en tant que « secte » en Chine. Demandes qu’il a refusées. Mais les simples journalistes sont plus vulnérables aux menaces, « parce que la plupart des employés des médias ont de la famille en Chine ».
Un chroniqueur qui a critiqué la sortie de Wang dit qu’il a été renvoyé suite à l’incident. Gao Bingchen a déclaré au Globe and Mail que son rédacteur en chef à la Global Chinese Press, un journal de langue chinoise basé à Burnaby, en Colombie-Britannique, lui a dit que : « certaines personnes ne veulent pas voir votre nom dans le journal ». Pendant ce temps, le New York Times rapporte qu’un pigiste sino-canadien écrivant sous le nom de plume Xin Feng a reçu des menaces de mort en ligne pour après avoir condamné M. Wang dans une chronique : « Veuillez à ce que toute votre famille ne se fasse pas tuée » et « Soyez prudent lorsque vous marchez dehors ! »
De plus en plus, les médias sociaux sont devenus l’arène de choix pour les tentatives d’influencer les journalistes étrangers de Pékin – et l’opinion étrangère en général. Selon Christopher Walker, de la National Endowment for Democracy, un rapport publié en 2016 a révélé que des « usines à trolls » financées par l’État en Chine ont affiché un demi-milliard de faux messages sur les médias sociaux uniquement en 2015. Walker a également pointé du doigt la visite en Australie, en mai dernier, du ministre de la Propagande de la Chine, Liu Quibao, ce qui a permis au China Daily, un quotidien d’État, de placer un supplément mensuel de huit pages dans le Sydney Morning Herald, l’Age et l’Australian Financial Review. Des arrangements similaires ont été conclus au préalable avec le Washington Post, le Daily Telegraph et Le Figaro en Europe.
Et en même temps que la Chine décroche des ententes avec des médias étrangers, à l’étranger, elle interdit ces mêmes médias de publier du contenu en ligne à l’intérieur de ses frontières. En mars 2016, la Chine a imposé de nouvelles règles pour « réglementer la publication en ligne » et « promouvoir le développement sain et ordonné des services de publication en ligne », selon les autorités chinoises. Les règles stipulent que « les coentreprises sino-étrangères et les unités d’affaires étrangères ne doivent pas se livrer à des services de publication en ligne » ou doivent recevoir l’approbation du gouvernement avant de le faire. Les censeurs de l’État ne permettent que les histoires qui « font avancer les valeurs fondamentales socialistes » et « font la promotion de la connaissance idéologique et morale, scientifique, technique et culturelle, ou le progrès social, [et] répondent aux besoins spirituels et culturels croissants de la population ».
Rien de tout cela ne devrait être acceptable pour les Canadiens – ou pour notre premier ministre. La liberté d’expression est l’un de nos droits les plus précieux, énoncés dans notre Charte des droits par nul autre que le père de Justin Trudeau, Pierre Elliott Trudeau, il y a trois décennies. Trudeau père cultivait des liens étroits avec la Chine, alors que le reste du monde occidental désapprouvait la superpuissance émergente. Aujourd’hui, son fils a la chance de porter l’héritage de son père sur les deux fronts. Il devrait prendre position pour la liberté d’expression en Chine et ici, en précisant que le resserrement des liens économiques exige un plus grand niveau de confiance et de respect des libertés qui sont chères aux Canadiens et à toutes les démocraties.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.