La course à la direction risque maintenant de se faire absorber par la politique identitaire
Être un député de l’opposition devrait être plutôt facile ces jours-ci. Bien sûr, les libéraux de Justin Trudeau demeurent populaires, mais les matins ensoleillés cèdent tranquillement leur place aux après-midis orageux. Les provinces hurlent à propos des transferts en santé. L’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne semble s’être effondré. La réforme démocratique (de l’aveu même du premier ministre) ne va nulle part. Les fonctionnaires font campagne (encore une fois) contre le gouvernement. La croissance économique est stagnante. Les déficits projetés pourraient se révéler être trois fois plus importants que prévus.
Autant d’alléchantes pistes d’attaques. Et de quoi parlent les candidats au leadership du Parti conservateurs? De bannir les niqabs … encore une fois.
Eh oui, c’est l’élection de 2015, prise 2. Et ce ne sont pas seulement les candidats Kellie Leitch et Chris Alexander qui s’affrontent sur le concept nébuleux de « valeurs canadiennes » : le dernier aspirant au trône, Steven Blaney, a lancé sa campagne lundi en annonçant son « plan global visant à assurer la durabilité du modèle d’intégration canadien ».
Le plan de Blaney, selon un communiqué de presse, comprend la modification du serment d’allégeance « pour s’assurer que les futurs citoyens de ce pays connaissent et respectent les principes fondamentaux du Canada, ce qui fera en sorte que leur intégration dans la société canadienne sera un succès ». Il veut aussi réintroduire C-623 – qui forcerait tout le monde de voter à visage découvert – et l’étendre à tous les employés qui travaillent dans les bureaux du gouvernement fédéral. Et si les tribunaux s’adonnaient à déclarer inconstitutionnelle une telle loi (une valeur sûre), Blaney sortirait l’artillerie lourde : « Un gouvernement conservateur sous la direction de Steven Blaney n’hésitera pas à utiliser la clause nonobstant si la Cour suprême s’oppose à la volonté du Parlement ».
« Dévoiler votre visage est une exigence de base pour tous les Canadiens, que ce soit pour obtenir un permis de conduire ou pour obtenir un passeport, et cela pour des raisons évidentes de sécurité », a déclaré Blaney. « Cette même exigence devrait s’appliquer à tous ceux qui prêtent allégeance envers notre pays, qui vote à un bureau de scrutin, ou qui travaille au sein de la fonction publique fédérale. »
Blaney joue clairement pour de potentiels appuis au Québec, là où le chef nouvellement élu du PQ, Jean-François Lisée, a réfléchit sur ces mêmes questions au cours de la récente campagne au leadership de son parti. Pendant la campagne, Lisée, ses collègues candidats et le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, ont débattu sur le nombre d’articles de vêtements qu’eux et leurs partis interdiraient dans l’intérêt de la purification du Québec. Burka? Burkini? Le vieux débat sur « les accommodements raisonnables » est de retour au Québec, arborant de nouveaux et avant-gardistes habits.
Le premier ministre libéral Philippe Couillard apprécie certainement le spectacle. Lorsqu’il a accueilli Lisée dans ses nouvelles fonctions, il y a deux semaines, il a immédiatement sauté sur ses commentaires au sujet de l’interdiction de la burqa, en comparant le chef du PQ aux politiciens d’extrême droite d’Europe et en suggérant que ce mouvement est « mauvais pour l’humanité ».
« Sa trame narrative en est une d’un nationalisme d’assiégés », a déclaré Couillard, « un nationalisme de la peur, des gens qui ne veulent pas faire face à la diversité, qui préfèrent que le Québec demeure fermé sur lui-même. »
Bien sûr, Couillard a une bonne raison d’attiser ces flammes. La décision du PQ de ressusciter le débat sur l’identité lui offre une bienvenue distraction face aux cas de manquements à l’éthique de son gouvernement et à ses impopulaires mesures d’austérité, alors que son gouvernement se prépare à quatre élections partielles et aux prochaines élections provinciales, en 2018. Les libéraux mènent aussi des audiences sur le projet de loi 62 – à savoir si les fonctionnaires, et ceux qui reçoivent des services publics, devraient avoir le visage découvert – et ils sont critiqués à la fois par ceux qui pensent que le projet de loi va trop loin pour assurer le caractère laïque de l’État et ceux qui pensent qu’il ne va pas assez loin.
Dans le reste du Canada, cependant, ce débat a été largement inutile depuis que les conservateurs ont perdu le pouvoir il y a un an, ce mois-ci. Les Canadiens ont voté contre le parti qui voulait interdire le niqab lors des cérémonies de citoyenneté et mettre en place un service de signalement pour permettre aux Canadiens de dénoncer les « pratiques barbares ». Un récent sondage Angus Reid a révélé que la majorité des Canadiens pensent que les « minorités devraient en faire davantage pour s’intégrer à la société canadienne ». Mais cela ne signifie pas qu’ils veulent que leur gouvernement intervienne pour que cela se produise, en interdisant des vêtements ou par d’autres moyens.
Et avec tous les fruits mûrs à l’ordre du jour libéral, la course au leadership du Parti conservateur n’a pas besoin d’une autre distraction. La prochaine élection sera-t-elle menée sur la politique identitaire, ou l’état des soins de santé? Sur l’interdiction du niqab ou le chômage? La menace du burkini sur les plages cet été, ou l’état des infrastructures en ruines du Canada?
Alors que les questions identitaires ont leur place à la table de la course au leadership conservateur, c’est une mauvaise idée de leur permettre de définir l’ensemble du menu.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.