Combien de temps encore durera la chance de Trudeau?

Indéfiniment … à moins que l’opposition ne se prenne en main

Si vous êtes un libéral fédéral, vous vivez présentement sur un nuage. Vivant ce qui semble être la plus longue lune de miel politique que ce pays ait connue, le gouvernement Trudeau vient tout juste d’atteindre une marque d’approbation de 56 pour cent dans le dernier sondage Abacus Data, et cela huit mois après son élection. Un sondage Angus Reid a récemment livré une note d’approbation de 63 pour cent pour le premier ministre Justin Trudeau.

Et si une élection avait lieu aujourd’hui, Abacus a constaté que 44 pour cent des Canadiens voteraient pour les libéraux, 28 pour cent pour les conservateurs et un maigre 16 pour cent pour le NPD. Oubliez les « voies ensoleillées » : Les libéraux aveuglent leurs adversaires avec un faisceau laser.

Pour être juste, les conservateurs et le NPD font face à un inconvénient majeur – ils n’ont pas de chef permanent. La chef intérimaire des conservateurs, Rona Ambrose, s’acquitte admirablement de sa tâche, mais ne sera plus dans les parages après mai 2017. Le chef du NPD, Thomas Mulcair, a été remercié par les membres de son parti lors de leur congrès ce printemps, après avoir remporté un faible taux de 48 pour cent d’appui dans sa révision de direction; il quittera officiellement son poste en octobre 2017.

Pendant ce temps, Trudeau progresse sur la scène mondiale, de Paris à Washington en passant par Tokyo, s’attirant les éloges de la communauté internationale. Au pays, il peut s’attribuer les mérites non seulement pour l’élection de son parti, mais pour sa résurrection. De passer d’une troisième place à gouvernement majoritaire n’est pas qu’une mince affaire, compte tenu, en particulier, qu’il est lui-même entré dans la campagne électorale comme le perdant.

À la lumière de ce fait, les partis d’opposition doivent-ils se résigner à adopter une politique d’attente, misant tous leurs espoirs sur leurs courses respectives au leadership? Pas nécessairement. Mais ils ont besoin de se préparer, comme mon cher défunt père m’a toujours conseillé, à adopter une vision à long terme et à changer la nature et l’objet de leurs attaques – qui ont été largement inefficaces jusqu’à présent.

Tout d’abord, les partis d’opposition doivent se rendre compte que le Canadien moyen a peu d’intérêt pour ce qui se passe à la Chambre des communes. L’« Elbowgate » en a offert une parfaite illustration. Lors de cet incident, en mai, Trudeau a traversé en trombe le plancher de la Chambre des communes, agrippé le whip conservateur et donné au passage un coup de coude à la députée néo-démocrate Ruth Ellen Brosseau.

Cela n’a pas affecté d’un iota la popularité du premier ministre; au contraire, la situation s’est retournée contre les néo-démocrates qui ont surjoué l’incident comme s’il s’agissait d’une forme de violence fondée sur le genre. Le public a haussé les épaules et détourné les yeux, plus préoccupé qu’il était par la performance des Blue Jays que par la déclaration de la députée néo-démocrate Niki Ashton voulant que « les gens allaient qualifier ce qui s’était passé d’assaut ».

Ce qu’il faut retirer de cet épisode : ne pas supposer que ce qui a de l’importance à Ottawa en a dans les salons de la nation. Tenez-vous en aux questions qui touchent la vie quotidienne des gens.

Deuxièmement, les conservateurs (en particulier les conservateurs) doivent cesser de ridiculiser Trudeau en le peignant comme un « premier ministre selfie » ou en le comparant aux Kardashians, comme l’a fait la députée du Manitoba Candice Bergen en mai lorsque Trudeau est apparu dans une publicité de Tourisme Canada.

Les Canadiens savent que ce gouvernement est obsédé par l’image : le sondage Angus Reid cité plus tôt a révélé que 54 pour cent des répondants pensent que le gouvernement priorise le style sur le fond. Mais ce même sondage a révélé que près de 2 Canadiens sur 3 approuvent la performance du premier ministre.

En d’autres termes, les électeurs apprécient leur « premier ministre selfie ». S’ils avaient éprouvé autant d’affection pour le premier ministre Stephen Harper, ils l’auraient aussi assailli pour prendre des photos en sa compagnie, et les conservateurs auraient vantés cette situation comme étant merveilleuse, au lieu de le comparer à une star de télé-réalité. Ce qu’il faut en retirer : ne pas attaquer un chef sur sa popularité. Cela n’a pas fonctionné pour les démocrates quand ils ont tenté la chose sur Ronald Reagan, et cela ne fonctionnera pas non plus contre Trudeau.

Troisièmement, suivre ses propres conseils et se concentrer sur le fond. Les libéraux mènent plusieurs dossiers de front : la législation sur l’aide médicale à mourir, la réforme du RPC (lire : plus de taxes), les subventions gouvernementales (d’abord à GM, ensuite à Bombardier?). Et ils en ont encore plus à venir : la légalisation de la marijuana, la réforme démocratique et (éventuellement) une taxe fédérale sur le carbone.

Prenez-vous en aux conséquences négatives de ces dossiers. Faites-le dans les médias locaux, et non pas dans les nationaux où les arguments ont tendance à voler à 30 000 pieds d’altitude. Et utilisez vos courses au leadership pour faire avancer des visions alternatives pour le pays, en les contrastant avec ce qui est proposé par le gouvernement fédéral : plus de dépenses, plus de dette et, probablement, un fardeau fiscal plus élevé en bout de ligne. Ce qu’il faut en retirer : attaquez les politiques, pas la personne, et ne pas seulement s’opposer – proposer.

Par-dessus tout, adoptez une vision à long terme. Les Canadiens avaient soif de changement lors de l’élection de 2015 – ils ne s’en lasseront peut-être pas avant la fin des deux prochains cycles électoraux. Et l’impact des politiques libérales ne se fera probablement pas ressentir avant cela, quand leur amour du financement au déficit, lui, se fera pleinement ressentir.

En attendant, les Canadiens recevront de plus gros chèques de prestations pour enfants, rêveront d’un plus généreux RPC et opineront du bonnet lorsque que Trudeau fera la une des magazines étrangers. Le travail de l’opposition n’est pas de le bombarder en plein vol, mais de se préparer à l’inévitable retour sur terre d’Icare.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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