Bien sûr, les « contributions en échange d’une rencontre » sont légales. Ça sent tout de même mauvais.
« Washington est comme un club de danseuses », a déjà déclaré l’ancien gouverneur de l’Arkansas, Mike Huckabee. « Vous avez des gens qui lancent des dollars, et des gens qui dansent. » Huckabee décriait ainsi l’influence de l’argent dans la politique américaine, mais ses paroles s’appliquent tout aussi bien à la situation au nord de la frontière. Et pour une fois, nous ne parlons pas du Québec.
Cette semaine, le Globe and Mail a publié les résultats de son enquête sur ce qu’on appelle des collectes de fonds de type « contribution en échange d’une rencontre » (« cash-for-access ») organisées par les politiciens libéraux en Ontario. Dans les deux ans suivant son élection en tant que leader du parti, la première ministre Kathleen Wynne a tenu 223 collectes de fonds, 159 qui étaient des événements privés de moins de 50 personnes, pour une somme de 19,6 millions $.
Alors que les listes d’invités n’ont pas été divulguées, le Globe a recoupé les dons enregistrés avec les dates et les prix des billets des événements, et a découvert « un modèle d’événements spécifiques à l’industrie, durant lesquels des élites entrepreneuriales, des dirigeants syndicaux et des lobbyistes dans des secteurs donnés ont été invités à payer pour passer du temps en compagnie de la première ministre ou d’un ministre impliqué dans leur dossier ».
Et que ce temps n’était pas donné! Les prix des billets variaient de 3000 $ à 10 000 $. Les activités comprenaient des cocktails, des garden parties et des rassemblements dans des hôtels et des restaurants haut de gamme. Des représentants de sociétés de développement et de construction ont assisté à des événements mettant en vedette le ministre des Finances, Charles Sousa, et le ministre des Transports, Steven Del Duca. Des fournisseurs d’infrastructures ont payés pour passer du temps en compagnie de la première ministre Wynne. Des cadres d’entreprise d’électricité ont déboursé des fonds pour rompre le pain avec le ministre de l’Énergie, Bob Chiarelli.
Ce dernier a fait l’objet d’une plainte au Commissaire à l’intégrité de la province, Bob Wake, de la part de Democracy Watch, un groupe basé à Ottawa qui surveille l’impact de la collecte de fonds sur le processus démocratique. Lorsque la plainte a été rejetée pour défaut de qualification (le plaintif doit être un membre actif de la législature), le chef adjoint du NPD en Ontario et député de Bramalea-Gore-Malton, Jagmeet Singh, est intervenu et a demandé au commissaire d’enquêter sur un dîner du Parti libéral tenu en décembre 2015 avec, à la fois Chiarelli et Sousa.
En réponse, Sousa a déclaré que « tous les partis politiques participent à des événements qui financent leurs campagnes électorales et cela se fait indépendamment de l’activité gouvernementale. Je me réjouis d’éventuelles réformes du système de collectes de fonds et j’espère que le député Singh et les partis d’opposition seront d’accord pour effectuer ces réformes ».
Les réformes auxquelles Sousa fait référence sont contenues dans le projet de loi no 201, une loi qui interdirait les dons des syndicats et des entreprises et réduirait de moitié la limite des dons personnels à 7750 $ par année. Les individus seraient en mesure de donner 1525 $ à chaque parti politique – le même montant qui est permis en vertu de la Loi électorale du Canada, mais une limite que le co-fondateur de Democracy Watch, Duff Conacher, estime être encore trop élevée.
« La limite fédérale est une mascarade. La limite fédérale pour les dons par des particuliers est 1525 $ au parti, mais un autre 1525 $ à l’association de circonscription de chaque parti, elle est en fait plus de 3000 $ ».
Le projet de loi no 201 ne fait rien non plus pour interdire les collectes de fonds de type « contributions en échange d’une rencontre ». Alors que Wynne ne défend plus de tels événements comme « faisant partie du processus démocratique », comme elle l’a fait en mars dernier quand l’histoire a éclaté, les libéraux ne font preuve d’aucun intérêt à vouloir les éliminer.
Ni les partis d’opposition, semble-t-il – probablement parce qu’ils ont tous organisé des événements similaires, y compris une collecte de fonds à 9975 $ l’assiette pour Andrea Horwath mettant en vedette la première ministre NPD d’Alberta, Rachel Notley, qui a valu à cette dernière de se retrouver dans l’eau chaude de retour dans sa propre province.
En réponse à l’enquête du Globe, un porte-parole du bureau de la première ministre a soutenu que « nous avons été clairs à l’effet que les dons n’influencent pas les décisions politiques; toute suggestion contraire est par ailleurs complètement fausse ».
C’est la ligne officielle. L’expérience dans d’autres juridictions, comme le Québec, pointe dans une autre direction. Dans la Belle Province, le gouvernement a mis sur pied une enquête – la Commission Charbonneau – pour enquêter sur des allégations de corruption dans le secteur de la construction et de trafic d’influence dans le domaine politique. La Commission a mis à jour un niveau choquant de corruption au niveau municipal, mais pas de liens directs entre la collecte de fonds et des contrats spécifiques au niveau provincial.
Toutefois, l’ancienne vice-première ministre du Québec, Nathalie Normandeau, a depuis été accusée par l’Unité permanente anticorruption de la province, l’UPAC, de complot, de corruption, d’abus de confiance et de fraude pour avoir prétendument accordé des contrats gouvernementaux en échange de cadeaux et de dons politiques entre 2000 et 2012.
La réponse du Québec aux conclusions de la Commission Charbonneau a été de réduire la limite individuelle des dons politiques à 100 $ et d’établir un fonds de contrepartie public qui alloue 2,50 $ par dollar recueilli pour la première tranche de 20 000 $ et 1 $ par dollar recueilli pour la première tranche de 200 000 $, par parti. Les collectes de fonds de type « contribution en échange d’une rencontre », telles que celles qui se tiennent en Ontario, sont interdites.
Les libéraux de l’Ontario vont-ils modifier le projet de loi no 201 pour le rendre en conformité avec les faibles limites sur les dons et les fonds publics permises au Québec, ou conserver ses limites supérieures et un non-financement public de la législation fédérale? Quelle que soit la voie qu’ils choisiront, s’ils continuent de permettre les « contributions en échange de rencontres », ils vont contrer le but même de toute réforme – qui devrait être d’empêcher l’argent de d’acheter du pouvoir et de l’influence. Pire encore, ils ne parviendront pas à rétablir la confiance du public dans le système démocratique.
Et dans une tournure des plus ironiques, ils risquent d’irriter les gens d’affaires du secteur privé qui achètent actuellement les coûteux billets – certains en ont assez d’être approchés à répétition pour des contributions, peu importe le fait qu’elles donnent droit à « une soirée des plus agréables avec l’honorable K. Wynne ».
Un lobbyiste, qui a demandé de conserver l’anonymat, a très bien résumé le tout : « Le système a bien fonctionné pour les libéraux … Mais ils l’ont poussé trop loin. » En effet.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.