Le party est-il terminé? L’élection présidentielle américaine de 2016 est devenue un concours pas tellement entre républicains et démocrates, mais entre l’establishment et l’électeur indépendant. Sur les deux côtés du spectre politique, les candidats représentant l’électeur désenchanté et privé de ses droits pullulent. Et la vague populiste sur laquelle surfent tout ce beau monde ne semble pas être en voie de disparaître d’ici le jour de l’élection.
La campagne de Donald Trump a généré des ondes de choc au sein du GOP. Malgré tous les efforts du parti, aucun autre concurrent n’a émergé comme l’« anti-Trump »; les aspirants Chris Christie et Ben Carson (dont aucun n’a été considéré comme un « insider ») ont quitté la course et appuient maintenant l’homme d’affaires devenu star de la télé. Les autres prétendants, Marco Rubio et Ted Cruz, ont échoué à s’élever au-dessus des douteuses blagues de pénis de Trump. John Kasich place tous ses espoirs sur une convention, mais il s’agit d’un faible espoir.
Si Trump remporte la primaire du super mardi en Floride, il pourrait bien être trop tard pour quiconque de l’arrêter par quelque moyen que ce soit, à part peut-être l’assassinat – une perspective effroyable qui semble de plus en plus possible, alors que la violence continue d’éclater sur les sentiers de la campagne de Trump.
Le recours aux politiques anti-establishment n’a rien de nouveau pour les républicains; à certains égards, la candidature de Trump en est le résultat naturel. Pendant des décennies, le parti a cherché à faire appel à l’électeur « mal éduqué » que Trump affectionne tant. De 2000 à 2008, en dépit de son lien avec une famille politique riche et bien connectée, le président George W. Bush a mis de l’avant un programme « anti-élite ». « Dubya » parlait sans artifice, souvent de façon non-grammaticale, d’une manière qui a fait que ses critiques remettaient en question son éducation, voire son intelligence. Bien entendu, cela faisait partie du but visé – un signal clair envoyé à l’électeur républicain comme quoi Bush était une « vraie personne », qui parlait en leur nom.
La candidate républicaine à la vice-présidence de 2008, Sarah Palin, a été la suivante à prendre le bâton « anti-establishment ». Elle et John McCain ont perdu l’élection à Barack Obama, mais cela n’a pas empêché Palin d’émerger comme le porte-étendard d’un mouvement anti-establishment beaucoup plus large: le Tea Party. Alors que le mouvement a débuté comme un écho de la campagne à la primaire du républicain Ron Paul, en 2008, il a pris de l’ampleur suite au sauvetage par Obama des propriétaires de résidences en faillite, en 2009. Conservateurs désenchantés, libertariens et populistes se sont alors regroupés non seulement pour protester contre le gouvernement, mais pour se concentrer à faire élire des candidats républicains lors des partielles de 2010, notamment.
Mais alors que les partisans du Tea Party étaient anti-élite, la plupart avaient encore des liens avec le Parti républicain. Au sommet de la popularité de leur mouvement, en 2010, 57 pour cent des partisans du Tea Party ont dit se considérer comme républicains, alors que 28 pour cent d’entre eux s’identifiaient comme indépendants et 13 pour cent comme démocrates. Au même moment, seulement 29 pour cent de l’électorat américain s’identifiaient comme républicains, 38 pour cent comme indépendants et 31 pour cent, démocrates. Selon la firme de sondage Gallup, le nombre d’électeurs indépendants a continué de croître, atteignant un sommet de 44 pour cent en janvier 2016, pour ensuite diminuer à 37 pour cent lorsque les primaires ont commencé.
Et ce sont ces électeurs indépendants qui sont responsables des victoires de Trump aujourd’hui aux primaires. Dans le New Hampshire, 42 pour cent des électeurs aux primaires républicaines s’identifient comme indépendants. Trump est allé chercher 36 pour cent de ce vote; Marco Rubio est arrivé deuxième avec 18 pour cent. Dans le Massachusetts, 50 pour cent des électeurs indépendants ont voté pour Trump. Dans le Michigan, un État où 31 pour cent des électeurs aux primaires républicaines de 2012 s’identifiaient comme indépendants, Trump a écrasé ses adversaires.
Dans le camp démocrate, les électeurs indépendants ont également remporté le New Hampshire avec Bernie Sanders, et ont voté pour lui contre Hillary Clinton dans une proportion de 2 pour 1 dans le Massachusetts. Cela ne devrait surprendre personne; le message de Sanders a toujours été anti-establishment et en-dehors-de-la-boite-démocratique, et il a siégé comme un législateur indépendant durant 36 ans avant de joindre les rangs des démocrates en 2015.
À bien des égards, Sanders rejoint les mêmes personnes que Trump: les moins instruits, moins fortunés, les Américains blancs pour la plupart qui se sentent laissés pour compte dans la nouvelle économie. Ce sont des gens qui se sentent trahis par leurs élus. Ils reprochent à la grande entreprise et aux politiciens de l’establishment qui défendent le libre-échange, la mondialisation et la diversité, tout ce qu’ils perçoivent comme menaces pour leur emploi et leur mode de vie.
Selon un sondage NBC News / Wall Street Journal, mené en mars par la firme Hart Research Associates, 7 pour cent des électeurs de Sanders disent qu’ils pourraient se voir appuyer Trump, tandis que 66 pour cent opteraient pour Clinton. Dans un article des plus fascinants, The Guardian a interviewé certains de ces « vire-capot ». Un électeur résume la situation comme ceci : « Trump est un vulgaire et odieux vantard qui dit des choses complètement folles. Mais, au moins – et contrairement à Clinton, mais comme Sanders –, il est un outsider qui comprend que le gouvernement et l’économie sont brisés. »
Si nous étions en Russie tsariste, ou en France révolutionnaire, les têtes des aristocrates rouleraient dans les rues. Au lieu de cela, les Américains se battent à la boîte de scrutin… jusqu’à présent. Les connotations fascistes et racistes franchement effrayantes de cette campagne – on pense à l’« engagement » de style nazi de Trump ou aux cris de ses partisans hurlant « retourner en Afrique » aux manifestants noirs à Chicago – ont encore un peu plus terni une campagne déjà connue pour sa rhétorique raciste d’exclusion.
Dans le camp de Sanders, le candidat et ses partisans brandissent le poing et en appellent à la révolution. En effet, les autocollants de la « Révolution Bernie », en vente sur Amazon, ressemblent étrangement à l’affiche des travailleurs de la Workers Resistance de l’ancienne Union soviétique.
Jusqu’où cela mènera-t-il? Un nouvel ordre politique? Le chaos? Une réforme des partis politiques existants – ou la fin de ces partis? La réponse peut se trouver non seulement dans qui remportera la Maison-Blanche, mais – plus que jamais – avec les électeurs eux-mêmes.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.