Cesser les bombardements, c’est un jeu purement politique

Lundi, le Premier ministre Justin Trudeau a finalement dévoilé la nouvelle mission canadienne pour combattre l’Etat Islamique. La liste des engagements est longue et coûteuse. Canada dépensera 1,6 milliard $ sur trois ans sur la sécurité, l’aide humanitaire, et la gouvernance. Nos forces armées continueront à maintenir un avion Polaris CC-150 de ravitaillement en vol et deux avions de surveillance aérienne CP-140 Aurora dans le champ de bataille. Le Canada triplera son engagement de formation, présentement de 69 formateurs, ce qui portera notre contribution totale à 830 soldats. Le Canada livrera 840 millions $ en aide humanitaire et 270 millions $ en « renforcement des capacités » pour les réfugiés. Et, comme les libéraux ont promis pendant la campagne électorale, Ottawa retirera nos avions CF-18 de la mission de bombardement.

Lors de la conférence de presse portant sur la nouvelle mission, Trudeau a tenté d’expliquer la différence entre l’approche de son gouvernement et celui de l’administration conservatrice précédente. « L’ennemi mortel de la barbarie, ce n’est pas la haine, c’est la raison, » a-t-il entonné. “Et les gens terrorisés par le soi-disant Etat Islamique a chaque jour n’ont pas besoin de notre vengeance, mais de notre aide. »

De belles phrases, livrées dans sa manière typiquement théâtrale. Mais la performance du premier ministre n’a pas détourné la question lancinante, posée maintes fois par les journalistes : pourquoi retirer nos avions CF-18? Ne pourrions-nous pas fournir plus de formation et de l’aide, mais toujours participer à la mission de bombardement ?

Trudeau a répondu que, « Dans toute mission nous devons faire des choix. Nous ne puissions pas tout faire. Nous avons été guidés par notre désir de faire ce que nous pouvons faire de mieux dans la région. » Ce qui est, à son avis, la formation des forces locales, sur la base de l’expertise développée par le Canada en Afghanistan.

Ainsi, à la séance d’information technique qui a suivi la conférence de presse, la journaliste de la Presse Canadienne Jennifer Ditchburn a posé la même question au chef d’état-major Jonathan Vance. Y avait-il une raison, financière ou autre, que le Canada ne pouvait pas à la fois augmenter son engagement de formation et maintenir nos six avions ? La non-réponse de Vance a fait écho à Trudeau : « Nous avons été dirigés à modifier la mission … et c’est là où nous en sommes … nous sommes à l’aise que nous pouvons soutenir la mission dans le long terme. »

En fait, il n’y avait qu’une seule raison logique pour retirer les avions, que Ditchburn a souligné dans une question de suivi : la politique. Et c’est parfaitement évident.

Pour les libéraux, gagner la dernière élection dépendait de se démarquer non seulement des conservateurs, mais du NPD. Sur l’économie, c’était facile, même si ça semblait risqué : le NPD et les conservateurs promettaient un budget équilibré, de sorte que les libéraux ont opté pour les déficits. Sur la politique de défense, les libéraux avaient besoin de trouver un terrain d’entente, entre le NPD qui voulait sortir de la Coalition entièrement, et les conservateurs, qui voulaient maintenir les bombardements et la formation. Donc, les libéraux se sont engagés à retirer les avions de chasses, tout en renforçant la formation et l’aide humanitaire.

Le Canada ne lancerait plus de bombes sur les bastions rebelles, et ne produirait plus de dommages collatéraux à la population civile locale. On ne verrait plus d’images de villes dévastées, gracieuseté de nos forces armées. Voilà une promesse qui a particulièrement fait appel aux néo-démocrates pacifistes, électeurs dont les libéraux avaient besoin pour remporter l’élection.

Sauf que, comme nous avons maintenant appris, ces électeurs ont été dupés, parce que le Canada est toujours en cours à l’aide dans le bombardement. Interrogé par Julie Van Dusen de la SRC sur la nécessité de nos avions aux efforts de la Coalition, Vance a répondu,

« Je tiens à vous mettre tous dans un contexte Coalition … Il y a une puissance aérienne suffisante à la disposition de la Coalition pour atteindre les objectifs des frappes aériennes … Nous allons perfectionner nos efforts dans le ciblage – afin d’identifier des cibles pour les avions de la Coalition à frapper. »

En d’autres termes, nous allons aider nos alliés à choisir leurs cibles. Alors, quand ces bombes tombent du ciel, ils auront toujours une composante canadienne. Nous dirigeons ces bombardements de façon stratégique, pas physique. Il est ainsi faux de dire que nous nous recentrons purement sur l’aide humanitaire, la formation et les priorités de développement.

Mais il y a encore mieux. Lorsqu’on lui a demandé si le Canada continuera de marquer les cibles dans le domaine, Vance a répondu « Oui, nous allons marquer les cibles pour les besoins de la défense des forces irakiennes et à la défense de nous-mêmes et pour leurs opérations offensives … nous aiderons dans tous les aspects de leurs opérations. » Vance a également confirmé que la probabilité de pertes canadiennes va augmenter, en raison du plus grand nombre de formateurs présents.

Donc, pour tous les électeurs qui étaient moralement opposés aux bombardements, désolé, le Canada aura encore une main à la pâte. Quant aux deux sur trois électeurs qui veulent garder nos avions dans le jeu, parce qu’ils craignent de justesse l’atteinte à la réputation et à la mission internationale du Canada, ils sont hors de la chance aussi. Il semble que le seul client satisfait dans ce scénario, c’est le premier ministre. En effet, il a déjà remporté sa guerre, le 19 octobre dernier.

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