Ce n’est plus le temps d’être poli avec Donald Trump, M. Trudeau

La cote de popularité de Donald Trump aurait-elle finalement atteint le point de bascule? Ses récents commentaires voulant que les femmes qui obtiennent des avortements illégaux devraient être punies a non seulement provoqué un tollé des deux côtés du débat sur l’avortement (ce qui est un exploit en soi), il a aussi confirmé ce que beaucoup d’électeurs craignent : les politiques de Trump ne sont en fait que des gribouillages sur le dos de serviettes de table.

Elles n’ont pas été pensées et ne contiennent aucune logique ou conviction. En fait, elles sont une injustice envers les serviettes de table; l’utilisation de papier hygiénique serait plus appropriée.

À l’origine de tout ce débat, l’échange entre Trump et l’hôte de MSNBC, Chris Matthews, s’est déroulé comme suit :

Matthews : « Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez esquiver. Si vous dites que l’avortement est un crime, ou que l’avortement est un meurtre, vous devez traiter cela sous un angle légal. L’avortement devrait-il être puni? »

Trump : « La réponse est qu’il doit y avoir une certaine forme de punition. Il doit y avoir une certaine forme. »

Quelques heures plus tard, Trump a publié une nouvelle déclaration : « La question n’est pas claire et devrait être remise aux États pour sa résolution. Comme Ronald Reagan, je suis pro-vie avec des exceptions, que j’ai énumérées à maintes reprises. »

Puis, dans une deuxième déclaration, Trump a ajouté : « Le médecin, ou toute autre personne qui accomplit cet acte illégal sur une femme, serait tenu légalement responsable, pas la femme … La femme est une victime dans ce cas-ci, comme l’est la vie qu’elle porte en son ventre. »

Bien qu’il soit vrai que Trump met le feu aux poudres à chaque fois qu’il dit quelque chose, ce dernier faux pas est plus difficile à expliquer. L’avortement est une question qui refait surface à chaque élection américaine. Les candidats doivent avoir une position, connaître leur position et défendre cette position. En faire une à mesure que l’on avance est encore pire que de mécontenter la moitié de l’électorat – parce que vous finissez par irriter l’ensemble des électeurs, comme Trump a réussi à le faire. Et cela montre aussi un manque surprenant de sens politique, même pour un candidat aussi inepte que Trump; cela n’aurait-il pas dû être élaboré des mois à l’avance?

La dernière gaffe de Trump rappelle sa récente rencontre avec l’équipe éditoriale du Washington Post. Ses réponses, pour le moins décousues, ont même fait paraître presque cohérent l’étrange discours d’appui de Sarah Palin. Entre les constants et démesurés commentaires autoréférentiels de Trump, la rencontre s’est déroulée un peu comme ça: Permettez-moi de vous parler de ma politique étrangère J’ouvre un nouvel édifice Detroit a besoin de zones économiques JE VENDS DES APPARTEMENTS EN CHINE nous avons besoin de construire un mur MES MAINS SE PORTENT BIEN.

Mais il n’y a pas que le style des non-politiques de Trump qui est inquiétant, il y a ce qu’elles renferment. Même s’il s’est repris sur la question des sanctions à l’avortement, cette gaffe va encore plus consolider l’écart entre les sexes de Trump – et d’une manière qui est plus difficile à rejeter ou à débattre. C’est une chose de qualifier les femmes de truies (ok, il est con), ou d’alimenter un différend avec Megyn Kelly (tout le monde ne peut l’aimer). Mais punir des femmes pour avoir subi un avortement? Même avoir l’idée de punir les femmes pour avoir subi un avortement? En matière de fanatisme – d’ignoble fanatisme, de plus – ça dépasse les bornes.

Et ça donne des munitions aux adversaires qui veulent l’attaquer, chez nous et à l’étranger. Ici au Canada, le chef du NPD, Thomas Mulcair, a affirmé cette semaine que le premier ministre Justin Trudeau devrait simplement appeler Trump un fasciste.

« Je n’hésiterai pas à souligner le fait que M. Trudeau se contente de hausser les épaules quand il est interrogé à propos de Donald Trump et de dire : “Oh la relation entre le Canada et les États-Unis va bien au-delà de deux individus.” Je suis désolé, mais si un fasciste devient président des États-Unis, je veux qu’il soit officiellement écrit quelque part que j’ai signalé mon opposition bien avant l’élection. »

En plus d’être inapproprié (si Trump – Dieu nous en garde! – devait se retrouver à la Maison-Blanche, le comparer à Il Duce compromettrait certainement de futurs dîners d’État), le mot « fasciste » ne fait pas vraiment partie du lexique joyeux de notre premier ministre. Et les fanfaronnades de Mulcair semblent un peu désespérées venant d’un homme qui : a) a perdu la dernière élection haut la main à Trudeau; et b) se bat maintenant pour sa survie politique avant le vote sur la direction du NPD de la semaine prochaine.

Mais l’avortement! Voilà une question que Trudeau a déjà réglée. Il serait beaucoup plus simple (et plus cohérent) pour Trudeau de reprendre Trump sur ses déclarations sur le droit d’une femme à choisir. Trudeau a pris la position féministe à chaque occasion qu’il a eu, déclarant son parti pro-choix (opinions divergentes, taisez-vous!), renvoyant deux députés accusés de comportement sexuel inapproprié (sans procédure régulière, mais bon; nous n’étions qu’en 2014…), et en faisant tout un plat avec la nomination de 50 pour cent de femmes dans son Cabinet (contente-toi de le faire; pas besoin d’insister!).

En fait, ça ne lui ressemblerait pas d’ignorer les propos de Trump sur l’avortement. Et puisque notre premier ministre est si populaire en ce moment aux États-Unis, ses commentaires pourraient même avoir un certain poids et aider à faire pencher la balance contre Trump.

Alors que je suis rarement une fan de la démagogie du premier ministre, cette fois je dis : Allez-y! Trump le cherche!

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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