Ne te lamente pas, tu n’y peux rien.
C’est l’une des principales règles en politique, en particulier lorsque vous perdez une élection. Ce qui est fait est fait : il vaut mieux poursuivre avec grâce, même si cela implique de garder le silence et d’attendre la prochaine occasion pour rentrer à nouveau dans la mêlée.
Sauf si vous êtes le député conservateur Maxime Bernier.
Dix mois après avoir perdu la direction du parti à Andrew Scheer, les larmes coulent apparemment encore et sont tombées dans les pages d’un nouveau livre qui devrait être publié un an avant les prochaines élections fédérales. Dans Faire la politique différemment : Ma vision du Canada, Bernier écrit que Scheer a remporté la victoire en raison des « faux conservateurs » issus de l’industrie laitière.
« Andrew, avec plusieurs autres candidats, était alors occupé à visiter les régions agricoles du Québec, y compris ma propre circonscription de Beauce, pour obtenir l’appui de ces faux conservateurs, uniquement intéressés à bloquer ma candidature et à protéger leurs privilèges », écrit Bernier.
Ce n’est pas un secret que beaucoup de producteurs de lait se sont opposés à la position de Bernier sur la gestion de l’offre, un système de cartel qui maintient artificiellement des prix et des revenus élevés pour les agriculteurs tout en limitant l’offre et en faisant grimper les coûts pour les consommateurs. Durant la course au leadership, Bernier a à maintes reprises dénoncé la politique, avec des résultats prévisibles : le lobby laitier a recruté des dizaines de membres pour Scheer, qui a remporté la victoire avec une marge des plus minces. « Il est intéressant de noter qu’un an plus tard, la plupart d’entre eux n’ont pas renouvelé leur carte et ne sont plus membres du parti », observe Bernier aigrement.
En fait, cette information n’est pas intéressante du tout. Elle n’est pas surprenante non plus. Le recours à des groupes d’intérêts pour obtenir le leadership a une longue et infâme tradition dans tous les partis, et à tous les niveaux de gouvernement. Que vous inscriviez des jeunes avec une promesse de légaliser le pot (Bonjour Justin Trudeau!), ou certaines communautés ethniques avec une promesse de vous opposer aux changements prévus dans un cours d’éducation sexuelle (Hello Patrick Brown!), les organisateurs politiques vont en recruter beaucoup de ces membres temporaires qui disparaissent une fois le vote terminé.
Dans la course à direction du Parti conservateur de l’Ontario, en 2014, Brown a inscrit 41 000 membres; sa principale rivale, Christine Elliott, en a inscrit plus de 30 000. Deux ans plus tard, après la soudaine démission de Brown, on a découvert que le nombre de membres était passé de 200 000 à 127 000. Où étaient les autres? Sont-ils tous morts ou déménagés à l’extérieur de la province?! Non : ils étaient probablement dans les parages durant la course et, une fois qu’elle était terminé, ils ont quitté. Selon une source conservatrice au National Post, de nombreuses adhésions ont simplement expiré et n’ont pas été renouvelées. « Ce n’est pas aussi grave que ça en a l’air. »
C’est pourquoi cela ne vaut pas la peine non plus d’être exploré dans un livre de campagne. Ce n’est pas que la pratique ne soit pas défendable, mais le fait que l’on soit choqué qu’elle se produise trahit un cas sérieux de naïveté politique.
Il révèle également l’angle mort de Bernier qui lui a probablement coûté le leadership : le fait d’avoir surjoué la carte des convictions.
Dans un effort visant à se distinguer de Scheer, il a cherché à se définir comme le conservateur ayant des principes, plutôt que le simple Tory. L’un des points de divergence entre les deux hommes était leur position sur la gestion de l’offre. Mais plutôt que de se contenter de le faire remarquer une ou deux fois, puis de passer à autre chose, Bernier a battu la question à mort, entrevues après entrevues, provoquant ainsi le cartel laitier dans une réaction prévisible d’autoprotection. C’était une énorme erreur stratégique de sa part, et une qui était complètement évitable.
Bernier risque maintenant d’en faire une autre. S’il a de futures aspirations de leadership dans ses cartons, poignarder Scheer en s’interrogeant sur l’intégrité de sa victoire n’est pas un bon moyen d’y parvenir. Bernier peut faire beaucoup mieux : c’est un homme posé et intelligent qui a beaucoup de substance, pas un gamin qui lance des bagarres dans la cafétéria des conservateurs. Les seuls gagnants ici sont les libéraux, qui sont sans doute ravis que les conservateurs soient occupés à s’auto-cannibaliser plutôt qu’à s’en prendre au gouvernement. Cela ne va pas se traduire par plus d’appuis pour Bernier dans les rangs Tory. Plutôt que d’aider Trudeau à garder le pouvoir, Bernier ferait mieux de laisser en paix les vaches qui dorment…
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.