Aucun des candidats ne semble représenter quoi que ce soit au-delà de leur intérêt personnel
Alors que le président élu Donald Trump s’en prend à l’actrice Meryl Streep sur Twitter (pourriez-vous, s’il vous plaît, laisser tomber?), la politique américaine continue de jeter son ombre au nord du 49e parallèle, notamment sur la course au leadership du Parti conservateur du Canada.
Deux candidats en particulier sont présentés sous les trait d’un Trump en habits canadiens – l’un par la punditocratie et les candidats concurrents du PCC, l’autre par ces deux groupes et par la principale intéressée. Et tandis que les comparaisons avec l’« aimant médiatique sur le point de devenir le 45e président des États-Unis » génèrent beaucoup d’attention de la part des médias pour les deux candidats en question, ces derniers pourraient apprendre que son prix est beaucoup trop élevé – pour eux, pour le parti et pour le mouvement conservateur au Canada.
Le premier supposé Trump en habits canadiens est Kevin « va-t-il ou ne va-t-il pas » O’Leary. L’unilingue O’Leary ne s’est toujours pas commis à entrer dans la course; il attend probablement que le débat français de ce mois-ci soit chose du passé… Sa probable candidature a été comparée à celle de Trump depuis ses tous premiers jours, avant même que Trump ait obtenu la nomination républicaine.
Mais la comparaison en est une de style, pas de substance: les deux, O’Leary et Trump, sont des hommes d’affaires-devenu-stars-de-télé-réalité qui aiment bien dire ce qu’ils pensent. Mais quand ils ouvrent la bouche, des choses très différentes sortent. Dans le cas de Trump, la rhétorique équivaut au protectionnisme, facturant au Mexique la construction d’un mur frontalier tout en se blottissant contre la Russie. Dans le cas d’O’Leary, c’est le libre-échange, le soutien à l’immigration et les appels à faire de plus faibles déficits.
O’Leary lui-même s’est empressé de se distancer de Trump. Et tandis qu’il dit qu’il aurait personnellement voté pour Trump, O’Leary ne s’en prend pas aux « médias traditionnels »; il fait même l’éloge de la SRC.
Au lieu de cela, O’Leary prétend être l’homme le plus en mesure de faire face à Trump, plutôt que de l’émuler. « Je crois que Trump contre Trudeau, c’est comme Godzilla contre Bambi … Vous avez besoin de quelqu’un qui peut négocier. Vous avez besoin de quelqu’un qui a dirigé des entreprises – qui sait s’ajuster lorsqu’il voit que l’environnement a changé. »
Comme dans le cas de Trump, le sens des affaires d’O’Leary a été remis en question – en particulier, en ce qui concerne l’implosion de The Learning Company après sa vente à Mattel, une acquisition décrite par Businessweek comme « l’une des pires affaires de tous les temps ».
De son côté, Kellie Leitch adopte l’approche inverse. Son style, et son pedigree, devraient être à l’image de Donald Trump. Mais elle n’est pas un flamboyant homme d’affaires qui orne ses édifices de son propre nom; elle est une chirurgienne pédiatrique qui reconstruit les membres brisés des enfants. Elle n’est pas la politicienne antipolitique – elle est une activiste de longue date qui a déjà servi en tant que députée et ministre de cabinet. Et elle n’a pas le fond d’une marque de commerce de droite: depuis ses jours d’université, elle a été beaucoup plus vue comme faisant partie de l’aile « Red Tory » du spectre politique.
Mais elle joue des cartes très différentes depuis le début de la course pour remplacer Stephen Harper. À entendre Leitch maintenant, elle serait l’équivalent d’un Trump en jupe. Elle promet de « drainer le canal Rideau » des « trafiqueurs d’influence (sic) et des lobbyistes » – un plagiat effronté de l’engagement de Trump à « drainer le marais » à Washington des mêmes sortes de personnages. Elle appuie sur les mêmes boutons que Trump en matière d’immigration, promettant tout récemment que les nouveaux arrivants paieraient le « test des valeurs » qu’elle promet leur faire passer avant qu’ils ne soient autorisés à entrer au Canada: « Pour moi, le dépistage à la frontière est important … Mon intention est de transférer ce coût à la personne qui immigre ici ».
Tout ce qu’il nous manque maintenant, c’est une actrice canadienne qui s’en prendrait à Leitch lors des Junos. Rien ne rendrait son équipe de campagne plus heureuse. Il y a plusieurs candidats dans cette campagne, et la manœuvre de Leitch d’imiter Trump lui donne la part du lion de l’attention des médias (cette chronique incluse). Quelle que soit la sincérité de son personnage, ce dernier lui permet au moins de façonner une grande partie du débat. Nous parlons d’elle, tout comme les gens parlaient de Trump. À ce stade, c’est tout ce qu’elle veut.
Et peut-être gagnera-t-elle la course au leadership? Et peut-être deviendra-t-elle première ministre? Et peut-être qu’à ce moment, comme Trump, elle enverra un barrage de tweets se moquant de nous, petites gens des « médias traditionnels » qui l’avons critiquée pour avoir exploité la politique de division et remis en cause son éloge à un sentiment antiélitiste (surtout étant donné qu’elle fait pas mal partie elle-même de l’élite)?
Mais Leitch ne pense pas au-delà de cette course. Pour les conservateurs canadiens, cela devrait être une source de profonde préoccupation. Lorsque sa rivale Lisa Raitt s’en prend aux déclarations et politiques de Leitch, évidemment qu’elle agit dans une grande mesure de façon intéressée. Mais Raitt fait un point plus grand.
Trump aura beau habiter la Maison-Blanche, mais le Parti républicain et le mouvement conservateur américain qu’il prétend servir sont divisés. Et ce n’est pas le genre de situation de terre brûlée qui pourrait voir un phénix sortir de ses cendres. Nous ne parlons pas d’un défi philosophique d’un Barry Goldwater – quelque chose conçu pour énerver l’establishment, tout en restant toujours à la base d’une tradition conservatrice.
Trump représente une répudiation non seulement de la politique républicaine (Ronald Reagan doit se retourner dans sa tombe à la suite de ses déclarations sur la Russie), mais de l’idée même de la politique comme outil visant à élever une nation au lieu de la détruire. Lorsque le président élu se tourne vers Twitter à chaque fois qu’une critique s’en prend à lui, le poste de président ne devient rien de plus qu’une chaire d’intimidation – l’accent étant mis sur « intimidation ». Et l’image de l’Amérique s’enfonce un peu plus creux à travers le monde, emportant avec elle le flambeau de la liberté qu’elle – et les conservateurs en particulier – prétendent brandir bien haut.
Dans l’Amérique de Trump, tout se vaut. Est-ce que nous voulons la même chose pour le Canada? Tel est le genre de questions que les politiciens comme Leitch – et les politiciens aspirants comme O’Leary – doivent se poser. Si le mouvement conservateur canadien doit engendrer un adversaire crédible à Justin Trudeau, cela ne se produira pas en visant le plus bas dénominateur disponible.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.