Imaginez si, en 1985, une délégation d’Afrique du Sud avait installé un kiosque au Centre des congrès d’Ottawa afin d’y mettre en valeur les vins, la gastronomie et la culture du pays. Imaginez qu’elle y avait mis de l’avant des affiches montrant de beaux parcs nationaux où des touristes regardaient des lions, des girafes et des gazelles gambader dans le soleil couchant, tout en passant sous silence le fait que plus de la moitié de la population africaine vivait dans un état de répression ethnique brutale, mieux connu sous le nom d’apartheid.
Cela n’aurait jamais été toléré. À l’époque, le premier ministre Brian Mulroney a fermement dénoncé le régime d’apartheid. « S’il n’y a pas de progrès dans le démantèlement de l’apartheid, nos relations avec l’Afrique du Sud pourraient devoir être complètement coupées », a-t-il déclaré lors d’un discours à l’Organisation des Nations Unies.
Mulroney a poussé les Britanniques et les Américains à imposer des sanctions plus sévères. Des pays, dont le Canada, ont boycotté les produits sud-africains. Des célébrités ont organisé des concerts exigeant que Nelson Mandela soit libéré de prison. Et en l’espace de moins d’une décennie, Mandela a été libéré, il est devenu le premier président noir de l’Afrique du Sud, et il a supervisé le démantèlement de l’apartheid.
En 2016, il y a un autre État qui opprime brutalement la moitié de sa population. Si vous êtes une femme en Arabie saoudite, c’est comme si vous viviez sous l’apartheid sud-africain en 1985. Vous ne pouvez pas quitter votre maison seule, vous ne pouvez pas avoir l’emploi de votre choix, vous ne pouvez pas conduire une voiture, vous ne pouvez pas posséder de biens et vous ne pouvez pas marcher en public, sauf si vous êtes enveloppée de la tête aux pieds dans un tissu noir. Vos enfants peuvent vous être enlevés, votre mari peut vous divorcer en répétant les mots « je te divorce » trois fois, et si vous êtes violée, vous pouvez être lapidée pour avoir commis « l’adultère ».
Pourtant, le présent gouvernement canadien ne dit pas un mot à propos de cette situation. Au lieu de cela, il a ratifié l’abjecte vente de véhicules blindés légers (VBL) à l’Arabie saoudite du gouvernement précédent. Imaginez, il a utilisé toutes sortes de contorsions pour nus dire qu’il n’avait pas d’autre choix que de donner le feu vert au contrat, malgré le fait que le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, devait encore signer les permis d’exportation, et en dépit de preuves de plus en plus flagrantes que le gouvernement saoudien utilise des VBL achetés précédemment non pas pour se défendre, mais pour opprimer son propre peuple.
Plus tard ce mois-ci, dans le cadre des Journées culturelles saoudiennes, qui se tiendront du 18 au 21 mai à Ottawa, les libéraux vont présenter de la danse folklorique arabe sur la pelouse de la Colline parlementaire. Les célébrations comprendront des démonstrations de coloration au henné, de la musique, de la cuisine arabe et des « costume traditionnels ». Comme c’est pittoresque. Peut-être que les Saoudiens remettront à Sophie Grégoire-Trudeau et à sa fille, Ella-Grace, une paire de niqabs, la meilleure façon d’expérimenter la vie en tant que femme en Arabie saoudite. Ou… peut-être pas.
Les défenseurs de la relation entre le Canada et l’Arabie saoudite vous diront que nous ne pouvons pas baser le commerce sur les droits de l’homme; que plusieurs pays commettent des violations horribles et que nous faisons toujours affaires avec eux; que des milliers d’emplois canadiens dépendent de ce contrat de LAV, que si nous nous retirons, comme le premier ministre Justin Trudeau l’a répété ad nauseam, l’Arabie saoudite va simplement acheter ses véhicules ailleurs; et, enfin, que nous avons besoin des Saoudiens pour nous aider à combattre la propagation de l’extrémisme musulman au Moyen-Orient.
Plusieurs de ces mêmes arguments auraient très bien pu être utilisés aussi dans les années 1980 à propos de l’Afrique du Sud. À l’époque, c’était un important centre minier avec le produit intérieur brut par habitant le plus élevé en Afrique. Sur le plan politique, il s’agissait d’une des rares démocraties qui fonctionnaient sur le continent. Elle n’avait jamais connu de coup d’État, ni n’avait été en proie à la guerre civile, et son gouvernement n’était pas embourbé dans des affaires de corruption. En pleine guerre froide, le régime sud-africain a bloqué la propagation du communisme sur le continent, ce qui était une menace très réelle – Mandela lui-même avait été membre du Parti communiste.
Pourtant, rien de tout cela ne comptait. Le Canada et le reste du monde en avaient assez. Et nous devrions prendre la même position aujourd’hui. Nous ne pouvons pas condamner le régime médiéval primitif d’Isil (Islamic State of Iraq and the Levant), qui décapite des otages et asservit les femmes au nom d’Allah, alors que nous vendons des armes aux Saoudiens et que nous applaudissons leurs danses folkloriques.
Pour le prochain libéral qui lance un : « Je suis une féministe (comme mon premier ministre) », je dis : Ne me faites pas rire! Redressez-vous, M. Trudeau, et dites au reste du monde qu’en 2016 le Canada n’acceptera pas l’apartheid contre les femmes en Arabie saoudite.
La version anglaise de ce texte se trouve sur le site du National Post.