Abandonné : Le secteur public déchante face à Trudeau

Rien de pire que de se mettre à dos les syndicats

« Monsieur Trudeau, vous aviez promis de faire les choses autrement. »

Voilà le sombre cri qui émane ces jours-ci des bureaux de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Tel un amoureux éconduit, l’AFPC implore Trudeau de « tenir (ses) promesses » et de « rétablir les services et les relations avec les fonctionnaires ».

Cette semaine, le syndicat qui représente la majeure partie de la fonction publique fédérale a lancé une campagne publicitaire à l’échelle nationale accusant le nouveau gouvernement de se comporter un peu comme le précédent : en ne revenant pas sur les changements prévus aux congés et aux avantages sociaux des politiques de congés de maladie, en ne réparant pas les problèmes du système de rémunération Phoenix, et en n’augmentant pas assez rapidement le financement des programmes.

Pourquoi cette désillusion? Eh bien, juste un peu avant l’élection fédérale de l’an dernier, Trudeau a écrit une lettre ouverte aux bureaucrates fédéraux. « La vision que je me fais de notre fonction publique diffère fondamentalement de celle de Stephen Harper. Là où il voit un adversaire, je vois un partenaire. J’estime qu’une fonction publique appréciée des Canadiens, qui est aussi une source de fierté pour ses membres, doit être appréciée par son gouvernement. »

Les fonctionnaires ont eu des visions du Nirvana-sur-le-Rideau, dans lesquelles le financement coulait abondamment et les scientifiques se baladaient en toute liberté. Et après l’élection de Trudeau, ils n’ont pas hésité à exprimer leur joie. Lorsque le nouveau premier ministre a visité le bâtiment des Affaires étrangères, les travailleurs l’ont assailli, pour l’applaudir et l’acclamer comme s’ils venaient d’être libérés d’un goulag. Ils l’ont étreint, lui et ses ministres. Ils ont hué un journaliste qui a posé une question critique envers le gouvernement. Selon CBC News, « un membre du personnel possédant beaucoup d’ancienneté a dit qu’il n’avait jamais vu rien de tel. Pas dans toutes ses années de service ».

Un an plus tard, l’éclat de l’égoportrait a pour le moins terni. Personne ne déchire sa chemise pour l’instant, mais le fait que l’AFPC rende publics ses griefs – employant des tactiques similaires à celles qu’il a utilisées contre le gouvernement Harper – est un avertissement lancé à l’endroit du premier ministre, un avertissement que son soutien n’aurait pas dû être tenu pour acquis.

Le précédent gouvernement conservateur avait proposé des changements aux politiques fédérales de congés de maladie pour les rendre plus conformes à celles du secteur privé. Plutôt que de permettre aux employés d’accumuler 15 journées de maladie par an, le projet de loi C-59 proposait l’attribution de 5 journées de maladie non cumulables par an pour chaque employé, et coiffait le tout d’une invalidité de courte durée après un certain volume de service. Le gouvernement a prétendu que cela ferait économiser près d’un milliard de dollars l’année même que le changement serait introduit, et des centaines de millions par années par la suite.

Les libéraux ont mis au rebut C-59 en mars, peu de temps avant d’aller à la table de négociation avec les membres de l’AFPC. En mai, le gouvernement a également promis d’abroger l’article 17 du projet de loi C-4, une autre loi conservatrice qui aurait restreint le droit des membres de l’AFPC à la négociation collective et permis à Ottawa d’imposer unilatéralement ses changements de congés de maladie. Les deux parties sont ensuite retournées à la table de négociation.

Au grand dam du syndicat cependant, la « nouvelle » offre du gouvernement ressemblait beaucoup à l’ancienne, éliminant 15 millions de journées de maladie accumulées et réduisant le nombre de journées qu’un employé peut accumuler par année. Ajoutez à cela une offre d’augmentation de salaire de 0,5 pour cent par année, lorsque les députés et sénateurs obtiennent en moyenne plus de 2 pour cent de plus par année, et vous pouvez voir pourquoi l’AFPC ne ressent pas l’amour.

Le gouvernement n’a peut-être autre choix que de briser quelques cœurs syndicaux s’il est sérieux avec ses intentions de maîtriser un budget qui menace d’exploser hors de contrôle. L’élimination des congés de maladie accumulés lui permettrait de revendiquer 900 millions $ d’économies; alors que cela serait davantage une action comptable que de l’argent réel, puisque tout ces congés ne seraient jamais pris en un an, cela représenterait une sorte de baume sur une offre quelque peu dégradée.

Le « fruit est mûr », selon l’ancien analyste économique en chef de Statistique Canada, Philip Cross. Un rapport préparé par Cross pour l’Institut MacDonald-Laurier en novembre dernier a révélé que si l’employé moyen du secteur privé prend 6,4 jours de maladie, le bureaucrate fédéral moyen, lui, en cumule 10,5. Combiné avec les jours fériés et autres congés payés, cela signifie qu’un employé possédant 30 ans d’ancienneté obtient 65 jours de congés payés pour 260 jours de travail par année.

« Aucun employeur du secteur privé ne pourrait concurrencer cela en payant ses employés en congé pour près d’un quart de l’année », a observé Cross. « Cet argent pourrait être mieux utilisé, il est donc dommage que le gouvernement le retire de la table. Il devrait faire partie des négociations et remis sur la table … Ils devraient y réfléchir à deux fois avant de claquer la porte et recommencer à neuf. »

Le gouvernement est peut-être arrivé à cette conclusion par lui-même. « Valoriser les fonctionnaires » ne signifie pas leur donner tout ce qu’ils veulent – surtout lorsque leurs exigences sont a) déraisonnables; b) vont faire exploser la banque; et c) ne gagneront pas beaucoup de sympathie publique.

Un an dans son premier mandat, Trudeau se rend rapidement compte des périls de promettre tout à tout le monde. Et ceux qui projetaient tous leurs désirs sur son gouvernement se rendent bien compte que même les meilleurs petits copains nous en font accroire, de temps à autre.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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