À qui appartient le parti, après tout?!

Alors que la course à la direction du Parti conservateur se déroule, la réponse pourrait nous surprendre

La retraite du caucus conservateur de cette semaine a été présentée comme une « évaluation de rendement » pour le parti, près d’un an après sa défaite aux élections générales de 2015. Les députés, aux dires de la chef Rona Ambrose, se sont réunis à Halifax pour : « regagner la confiance des Canadiens de l’Atlantique » – ces électeurs ont tourné le dos aux conservateurs l’automne dernier et ont mis un libéral dans chaque siège de St. John à Madawaska-Restigouche.

Cette introspection, cependant, a rapidement cédé la place à l’évolution de la course à la direction des conservateurs. Avant même que les députés se réunissent, l’ancien ministre et candidat potentiel poids lourd Peter MacKay a tiré sa révérence, citant la nécessité de passer du temps avec sa femme et ses jeunes enfants : « Alors que l’occasion est excitante, et la récompense déterminante, je crois que ce serait trop leur demander en ce moment de revenir dans l’arène politique et la ferveur d’une campagne à la direction, avec tout ce que cela implique. »

Traduction : le prix ne vaut pas le sacrifice. Alors que MacKay sait de quoi il parle – son père, Elmer MacKay, était ministre dans le gouvernement de Brian Mulroney, l’amenant souvent loin de sa famille lorsque MacKay était plus jeune –, sa décision met en lumière le défi de taille auquel fait face celui qui dirigera le parti.

Avec le premier ministre Justin Trudeau se prélassant encore dans une lune de miel politique prolongée – le dernier sondage Angus Reid lui donne un taux d’approbation de 65 pourcent –, la voie vers le retour au pouvoir pourrait être longue, sinueuse, et épuisante pour l’opposition. Elle pourrait dépendre davantage des faiblesses du gouvernement libéral que des mérites du chef conservateur; en d’autres termes, à moins que Trudeau ne se fourvoie royalement, il pourrait être en poste pour une bien longue période.

MacKay est le deuxième gros nom à se désister, après Jason Kenney qui, en juillet, a annoncé son intention de passer plus de temps avec sa famille, à savoir, les conservateurs de l’Alberta. « Le Parti progressiste-conservateur et le Wildrose doivent mettre l’Alberta devant tout … Voilà pourquoi j’ai décidé de briguer la direction du Parti progressiste-conservateur de l’Alberta, à la recherche d’un mandat explicite : il faut s’unir avec le Wildrose et tous les Albertains ayant des vues similaires afin que nous puissions vaincre le NPD et remettre cette province sur la bonne voie », a déclaré Kenney à ses partisans lors du lancement de sa campagne à Calgary. Une noble, et commode, excuse pour quitter la politique fédérale, si vous voulez mon avis.

Cela laisse la course conservatrice comme « la bataille de l’équipe B ». Les candidats déclarés et enregistrés sont les députés et anciens ministres Maxime Bernier, Michael Chong, Tony Clement et Kellie Leitch, ainsi que le député et ancien secrétaire parlementaire Deepak Obhrai. Quatre autres candidats se sont déclarés, mais n’ont toujours pas payé leur dépôt : il s’agit de l’ancien député Pierre Lemieux, du docteur Dan Lindsay, de la consultante en communications Adrienne Neige, et du député Brad Trost. Ce dernier a lancé une campagne en ligne proclamant le mariage comme « l’union d’un homme et d’une femme » et comportant une paire de doigts arborant des émoticônes souriantes et le message Twitter « Brad Trost est 100 % conservateur et se battra pour vous! » – Ce qui lui a valu le surnom de « Thumb Face » chez certains utilisateurs de Twitter.

Puis, il y a les non-déclarés « qui pensent » à se présenter : les députés Candice Bergen, Steven Blaney, Erin O’Toole, Lisa Raitt et Andrew Scheer. Ajouter à cette liste les hommes d’affaires Rick Peterson et Kevin O’Leary, et les débats du Parti conservateur pourraient bientôt rivaliser avec ceux du Parti républicain en terme de taille et de lourdeur.

Ils pourraient également être le théâtre d’une polarisation similaire, grâce à Mme Leitch et son étreinte renouvelée de la politique identitaire. Lors de la réunion du caucus, Leitch en a remis dans les médias à propos du dépistage des immigrants à la recherche de valeurs anti-canadiennes. Son équipe de campagne a expédié un courriel de collecte de fonds citant un sondage réalisé par Forum Research montrant que 67 pour cent des répondants, et 87 pour cent des répondants conservateurs, sont d’accord avec son idée. Leitch a écrit : « Alors que les élites et la plupart des médias critiquent durement la mention même d’une telle discussion, vous êtes plus au fait. La raison pour laquelle j’étais aussi plus au fait est que j’ai voyagé tout l’été à travers le pays pour consulté nos membres et les Canadiens, où nous avons parlé d’une vision pour notre parti et notre pays. »

Alors que certains comparent Leitch à Donald Trump, et son appel à l’interdiction de l’immigration musulmane et la construction d’un mur entre le Mexique, une meilleure comparaison à faire serait de la comparer à l’ancien maire de Toronto, Rob Ford. En 2010, personne non plus ne pensait que Ford allait gagner sa course. Mais les électeurs ont eu raison des experts : Ford a touché un point sensible avec les questions de fiscalité, tout comme Leitch a touché un point sensible avec les valeurs canadiennes. Ce n’est pas un hasard si Leitch et Ford ont le même directeur de campagne, Nick Kouvalis, un fait noté par d’autres observateurs politiques aussi. Mais de rejeter la position de Leitch comme « désespérée » et « laide » nourrit directement sa notion qui veut qu’elle seule se lève pour la majorité silencieuse – qui, si les chiffres nous révèlent quelque chose, comprend un nombre important de personnes qui sont elles-mêmes des immigrants, ou des descendants d’immigrants.

Et quoi que vous pensiez de la proposition de Leitch – est-il possible de filtrer les immigrants pour des valeurs anti-canadiennes? Cela est-il nécessaire, au-delà de ce que notre service d’immigration fait déjà? Le fait que d’autres conservateurs aient tenté de mettre un terme à la conversation a donné un énorme coup de pouce à sa candidature. Elle en est ressortie non seulement comme la championne de l’identité canadienne, mais aussi comme celle de la liberté d’expression. Elle peut désormais jouer la carte de l’« outsider » – clamant aux partisans conservateurs qu’elle est attaquée par la presse, les élites et même ses collègues conservateurs, pour avoir osé discuter d’une question importante.

La chef Rona Ambrose semble avoir réalisé cela, et a modéré son ton au cours de la retraite du caucus. Après avoir auparavant critiqué la position de Leitch, Ambrose a déclaré : « les courses au leadership sont passionnantes; elles sont intéressantes. Les gens avancent des idées et des politiques qui seront débattues au sein du parti et, à en bout de ligne, ce sont les membres du Parti conservateur du Canada qui passeront un jugement et qui décideront pour qui ils ou elles vont voter. »

Traduction: nous devons laisser les membres avoir leur mot à dire ou nous risquons une mutinerie au sein du parti. La politique du haut vers la base pourrait se révéler être plus conflictuelle qu’un débat sur la façon de protéger nos valeurs communes. Et alors que les députés reviennent à Ottawa pour faire face à leur ennemi commun – un gouvernement libéral populaire avec un leader encore plus populaire –, la dissension est la dernière chose dont les conservateurs ont besoin.

La version anglaise de ce texte se trouve sur le site de iPolitics.

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